Cet article fait partie du projet collaboratif Voices of Europe 2024, impliquant 27 médias de toute l’UE et coordonné par Voxeurop. D’ici au scrutin du 9 juin, nous publierons un article par pays de l’Union, pour prendre le pouls de la campagne des européennes sur tout le continent. Retrouvez tous les épisodes de cette série ici.
La Belgique a décidé d’ouvrir le vote aux élections européennes aux jeunes dès 16 ans. Le pays étant ce qu’il est – sa devise «l’Union fait la force» pourrait être remplacée par «Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?» – la nouveauté a accouché d’un imbroglio. La loi prévoyait que les 16-17 ans puissent voter aux européennes, mais ne les y obligeait pas. Celles et ceux qui désiraient prendre part au scrutin étaient priés de s’inscrire. En mars, la Cour constitutionnelle a rappelé le législateur et le gouvernement à l’ordre : rien ne justifie que l’on distingue les électeurs mineurs des personnes ayant atteint leur majorité qui, en Belgique, sont obligées d’aller voter. La situation est à présent, de facto, celle d’un vote «obligatoire facultatif». Les 16-17 ans (3 % de l’électorat) sont priés de se rendre aux urnes. Mais le ministre de la Justice, Paul Van Tigchelt (libéral flamand), a indiqué que les jeunes qui «sécheraient» leur devoir électoral ne seraient pas poursuivis, ni sanctionnés d’une amende – à la différence de leurs aînés.
Aussi rocambolesque soit-elle, l’affaire n’a pas suscité de grand émoi. Même si elles se déroulent au moment où la Belgique occupe la présidence du Conseil de l’UE, les européennes ne provoquent d’ailleurs pas une passion démesurée au (pas si) plat pays. Il faut dire que, comme en 2014 et 2019, elles sont couplées aux élections législatives et régionales. Les premières renouvellent la Chambre des représentants du Parlement fédéral. Les secondes servent à élire (on s’accroche) les membres des Parlements régionaux flamand, wallon, bruxellois, de la petite communauté germanophone de l’est du pays mais aussi, indirectement, ceux du Sénat et ceux du Parlement de la Communauté française.
Le Vlaams Belang à 25 % dans les sondages
Les enjeux des élections fédérales et régionales sont plus lisibles et certainement considérés comme plus primordiaux que ceux des européennes. Un tsunami politique pourrait en effet balayer le pays le 9 juin. En Flandre, le parti d’extrême droite et séparatiste Vlaams Belang est crédité de plus de 25 % des voix dans les sondages. S’il réalise la percée annoncée au fédéral, en Flandre et à Bruxelles, la Belgique risque d’être ingouvernable. Il sera extrêmement compliqué, c’est un euphémisme, de former un gouvernement fédéral. Surtout, si en Flandre les nationalistes de la N-VA, détrônés de leur première place, s’allient au Belang pour former un gouvernement régional, ce qui les rendraient «infréquentables» pour les partis francophones au fédéral – en Belgique, les niveaux de pouvoirs ne sont pas étanches. Pour compliquer la donne, côté francophone, la formation de gauche radicale PTB devrait approcher les 15 %. L’équation pourrait s’avérer impossible à résoudre, tant sur le plan arithmétique que politique.
Des questions européennes telles que la lutte contre la pauvreté, la migration et l’asile, le climat, la politique agricole, l’avenir de l’Europe, la défense et la sécurité figurent (dans cet ordre) sont parmi les priorités des Belges recensées par l’Eurobaromètre. En raison du contexte national, les européennes passent néanmoins au second rang des préoccupations.
Les Belges seront amenés à élire 22 députés : 13 néerlandophones, 8 francophones et 1 germanophone. Côté francophone, le Parti socialiste (PS) et les libéraux du Mouvement réformateur (MR) ont sorti la grosse artillerie, en plaçant chacun un ancien Premier ministre en tête de liste : Elio Di Rupo (2011-2014) et Sophie Wilmès (cheffe du gouvernement en affaires courantes d’octobre 2019 à octobre 2020, donc au début de la pandémie). Celle-ci occupe la place que briguait le président du Conseil européen, Charles Michel, membre de son parti, avant de se raviser pour des raisons obscures.
Deux anciens chefs de gouvernement candidats
L’un des enjeux du scrutin, côté francophone, sera de voir lequel des deux anciens chefs de gouvernement, issus des deux plus grands partis, ramasse le plus de voix. Ecolo a peu de chance de conserver deux élus, Les Engagés (centristes) devraient en garder un, le PTB en récolter deux (et doubler son contingent). Elio Di Rupo, actuel ministre président de la Région wallonne, devrait permettre à son parti de ne pas souffrir du scandale du Qatargate – les députés européens Marc Tarabella, inculpé, et Marie Arena, éclaboussée par sa proximité avec le cerveau présumé du réseau de corruption, avaient été élus sur la liste PS en 2019. La libérale Wilmès devrait aussi faire le plein de suffrages, mais il est incertain qu’elle restera au Parlement européen. Elle est un atout que son parti abattra si, comme attendu, il entre au gouvernement fédéral. Combien de temps faudra-t-il pour former ce gouvernement ? Record belge et mondial à battre : 541 jours.
On ne trouve plus en Flandre pareille tête de gondole, un autre ancien Premier ministre, le libéral Guy Verhofstadt, ayant choisi de ne pas se représenter après quinze ans dans l’hémicycle. La N-VA avance quand même un ancien ministre des Finances, Johan Van Overtveldt, qui vise une réélection. C’est en ligne avec la façon dont, globalement, le monde politique belge considère le Parlement européen : un lieu où s’investir pendant plusieurs mandats, plutôt qu’un cimetière pour politiques déclassés ou une salle d’attente vers d’autres fonctions. Au nord du pays, la N-VA veut garder trois élus tandis que les libéraux de l’Open VLD, les chrétiens-démorates du CD & V (2), les socialistes de Vooruit (1) et les Verts de Groen (1) espèrent limiter les dégâts face au Vlaams Belang et, peut-être, au PvdA, la branche flamande du PTB.
Si ces élections passionnent peu les Belges, c’est aussi parce que l’intégration européenne est un sujet qui fait largement consensus : ce qui est bon pour l’Europe est considéré comme bon pour la Belgique, pays fondateur de ce qui est aujourd’hui l’Union. Mais le paysage politique est mouvant. Le PTB /PvdA se dit favorable à une autre Europe et à une «sortie des traités». Le Vlaams Belang va gonfler les rangs du groupe eurosceptique d’extrême droite Identité et démocratie. Le score que l’un et l’autre réaliseront aux européennes, mais aussi dans les autres élections du 9 juin dira si la traditionnelle europhilie belge est soluble dans les votes extrêmes.