Cet article fait partie du projet collaboratif Voices of Europe 2024, impliquant 27 médias de toute l’UE et coordonné par Voxeurop. D’ici au scrutin du 9 juin, nous publierons un article par pays de l’Union, pour prendre le pouls de la campagne des européennes sur tout le continent. Retrouvez tous les épisodes de cette série ici.
En Croatie, la campagne pour les européennes a été complètement éclipsée par la politique nationale. Il aura fallu un mois, après les législatives du 17 avril, pour que le Premier ministre conservateur Andrej Plenkovic, au pouvoir depuis 2016, fasse approuver son gouvernement par le Parlement. Et il a dû pour cela s’allier avec la droite nationaliste et populiste du Mouvement patriotique de Miroslav Skoro (DPMS). L’Union démocratique croate (HDZ) se retrouve donc obligée de partager le pouvoir, comme elle a dû partager les thèmes de campagne de son nouveau partenaire en vue des européennes.
La droite croate a largement centré sa stratégie politique sur un discours très sécuritaire et anti-migrants. Elle a demandé l’envoi de l’armée et des forces de protection civile aux frontières avec la Bosnie-Herzégovine et la Serbie. Et elle essaie également de justifier les violentes méthodes utilisées par la police ces dernières années pour «défendre» le territoire en se servant à profusion de stéréotypes sur les migrants. La guerre en Ukraine et la menace russe ont donné une nouvelle impulsion à cette volonté sécuritaire : les conservateurs entendent désormais renforcer l’armée croate et réintroduire le service militaire obligatoire pour les hommes.
Souveraineté contre justice sociale
Au-delà du thème de la sécurité, l’objectif des conservateurs est de prouver aux Croates qu’ils sont les garants d’une souveraineté nationale croate durement acquise. En 2023, le Bureau du procureur général européen (BPGE) a mis un coup de projecteur sur certains ministres corrompus membres du HDZ, tout en révélant l’inefficacité du système judiciaire croate et sa soumission au gouvernement. Le BPGE s’est donc naturellement retrouvé dans la ligne de mire des conservateurs. Le conflit a atteint son paroxysme en mars, lors d’un débat public houleux entre Andrej Plenkovic et Laura Kövesi, la première procureure en chef du Parquet européen, sur la question même de la compétence du BPGE. Fraîchement élu procureur général de la Croatie, Ivan Turudic (dont la nomination, vue comme un cas d’ingérence politique dans le système judiciaire, avait été critiquée) a déclaré que la compétence du BPGE devait être abolie.
De l’autre côté du spectre politique croate, la stratégie est toute autre. Deuxième force politique du pays, le Parti social-démocrate (SDP) défend une Europe de la justice sociale, de la solidarité entre les Etats membres de l’UE, d’un meilleur système de santé, de la protection sociale et de l’éducation, de la réduction du chômage chez les jeunes, de la transparence et de la responsabilité en politique.
26 pays, 26 candidats
Sur le plan de la sécurité, le SDP souligne l’importance d’une amélioration de la coopération policière et judiciaire entre les pays de l’UE et prend soin de ne pas associer impératif sécuritaire et immigration. Le parti est en faveur d’un renforcement d’Europol, du BPGE et de la future autorité de lutte contre le blanchiment d’argent. A rebours des conservateurs, les sociaux-démocrates misent sur une lutte contre «toute forme de discrimination». Ils espèrent travailler à une politique européenne plus forte en matière d’égalité de genre et d’égalité des personnes LGBT +, ainsi qu’à une directive européenne contre les discriminations et à la mise en place d’une stratégie de l’UE sur les droits des personnes handicapées.
Une Europe forteresse
A leur gauche, le parti Mozemo ! («Nous pouvons» en croate), qui devrait siéger aux côtés des verts s’il entre au Parlement européen, concentre sa campagne autour de l’amélioration des conditions de vie pour tous les citoyens européens. Ils souhaitent une plus grande convergence économique et sociale des pays de l’UE afin de réduire les disparités qui persistent entre eux. Avec le logement comme priorité : «Nous exigerons plus d’investissements dans le logement à prix abordable et l’adoption d’un plan à cet égard au niveau de l’UE», explique un porte-parole. Le parti promeut aussi «un transport public de meilleure qualité et en particulier le renouvellement des structures se trouvant dans un état déplorable dans tout le sud-est de l’Europe».
Favorable à l’élargissement de l’Union européenne aux différents pays candidats, de l’Ukraine à la Bosnie-Herzégovine voisine, Mozemo ! s’inscrit résolument en opposition aux «tendances autoritaires et conservatrices» qui sont donnés grandes gagnantes pour le scrutin du 9 juin. Ses représentants entendent même amender le «Pacte sur l’asile et la migration» voté récemment au Parlement européen, symbole d’une Europe forteresse qui tend à externaliser la gestion de ses frontières. A mille lieux donc des aspirations conservatrices du nouveau gouvernement.