Cet article fait partie du projet collaboratif Voices of Europe 2024, impliquant 27 médias de toute l’UE et coordonné par Voxeurop. D’ici au scrutin du 9 juin, nous publierons un article par pays de l’Union, pour prendre le pouls de la campagne des européennes sur tout le continent. Retrouvez tous les épisodes de cette série ici.
Le Rassemblement national ? Un parti hors de «l’arc républicain», a jugé le président français Emmanuel Macron ; le cheval de Troie des intérêts russes dans l’Hexagone, a renchéri le Premier ministre, Gabriel Attal ; la promesse, en matière économique, d’un «nouveau marxisme», a osé le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire. A l’approche des élections européennes, le camp présidentiel redouble d’attaques contre le parti d’extrême droite. Ce dernier, son principal concurrent électoral depuis 2017, est systématiquement donné favori dans les enquêtes d’opinion, avec une large avance sur la liste macroniste Renaissance.
En 2019, les deux blocs avaient fini au coude-à-coude, avec le même nombre d’élus au Parlement européen. Cinq ans plus tard, le récit d’une inéluctable victoire du parti de Marine Le Pen est si ancré dans les esprits que, pour beaucoup d’observateurs, le principal enjeu est la mesure exacte de son avance sur les autres formations. Le pronostic s’appuie sur l’impopularité d’Emmanuel Macron, les débuts réussis du nouveau président du RN, Jordan Bardella, qui est aussi la tête de liste du parti, les divisions de la gauche, et un climat social difficile, marqué notamment par la baisse du pouvoir d’achat.
Stratégie de banalisation
Finaliste de la dernière présidentielle, mieux représenté que jamais à l’Assemblée nationale, avec près de 90 députés sur 577, le RN est le principal bénéficiaire des difficultés du moment. Ni les accusations d’amateurisme, ni les déboires judiciaires de plusieurs de ses figures, ni son médiocre bilan européen, ni même sa longue estime pour le régime de Vladimir Poutine ne semblent avoir prise sur l’opinion. De son côté, il a pour principale stratégie de banaliser au maximum son image, évitant toute prise de risque, faisant profil bas, profitant passivement des faux pas de ses concurrents.
Le camp présidentiel semble avoir acté cette normalisation. A de rares exceptions, il a renoncé à faire le procès moral du RN, à le renvoyer au racisme et à l’antisémitisme de son premier président Jean-Marie Le Pen. Il préfère mettre en garde contre un programme économique assimilé à celui de «l’extrême gauche», et contre l’idée d’un inévitable «Frexit» en cas de victoire du RN – bien que ce dernier ait officiellement renoncé à défendre une sortie de l’Union européenne. Nommé Premier ministre en janvier, à seulement 34 ans, Gabriel Attal, plus populaire et percutant que le chef de l’Etat, a été perçu comme une arme anti-Bardella – le président-candidat du RN est âgé, lui, de 28 ans. Mais entre la gestion d’un violent mouvement social des agriculteurs, et l’annonce de sévères coupes budgétaires pour réduire le déficit, il n’a pas encore réellement ouvert les hostilités avec le parti d’extrême droite.
Pour l’heure, c’est encore et toujours le chef de l’Etat qui prend en charge les grandes manœuvres, mettant à profit le contexte international. Lui qui a fait de la «souveraineté» française et européenne le nouveau mot d’ordre de sa présidence, a récemment durci le ton vis-à-vis de Moscou. Posture diplomatique, mais aussi à usage interne, qui permet à son camp de souligner à l’envi les liens de Marine Le Pen avec les cercles poutiniens.
Tableau confus
Dans les autres camps, la situation n’est pas plus flatteuse. Rogné d’un côté par le macronisme, de l’autre par l’extrême droite, Les Républicains, mouvement historique de la droite, est au plus bas. Devenu un parti de second rang, il cherche son salut dans une ligne identitaire et un anti-macronisme outré. A gauche, le tableau est confus. Alliés aux dernières législatives, le Parti socialiste, le Parti communiste, Les Ecologistes et La France insoumise (LFI) se présentent séparés pour ces européennes. Les trois premiers veulent remettre en cause le leadership de LFI et de son meneur Jean-Luc Mélenchon, arrivé troisième de la dernière présidentielle, mais dont ils condamnent l’attitude autoritaire, le style populiste et certains points du discours. Même si les scores cumulés des partis de gauche pourraient concurrencer ceux du RN et des macronistes, rien n’indique qu’ils feront à nouveau bloc d’ici à la présidentielle de 2027.
Cette dernière est le véritable arrière-plan du scrutin de juin. Passé celui-ci, et les Jeux olympiques de Paris cet été, les prétendants à la succession d’Emmanuel Macron pourraient laisser libre cours à leurs ambitions – alors que le chef de l’Etat, atteint par la limite des deux mandats successifs, ne peut plus se représenter. Pour Marine Le Pen, probable candidate du RN, ce sera la quatrième tentative, après avoir obtenu 41,5 % des voix à la précédente. Aucune à ce jour ne s’est présentée aussi favorablement. Mais il faudra aussi compter avec la proverbiale capacité de la candidate à gâcher, par un programme hasardeux ou des débats ratés, les plus favorables circonstances.