Menu
Libération
Les voix de l'Europe (6/27)

Elections européennes en Grèce : les fissures d’une droite dominante

Elections européennes 2024 dossier
Dossiers liés
Face à une Europe plus rassembleuse, mais aussi plus fragile institutionnellement, le scrutin en Grèce se focalisera sur les questions nationales dans un contexte de déclin du parti au pouvoir.
Le Premier ministre grec, Kyriákos Mitsotákis, au Parlement d'Athènes, le 28 mars 2024. (Louiza Vradi/REUTERS)
par Giannis Kibouropoulos, directeur éditorial d'Efimerida ton Syntakton
publié le 1er mai 2024 à 15h58

Cet article fait partie du projet collaboratif Voices of Europe 2024, impliquant 27 médias de toute l’UE et coordonné par Voxeurop. D’ici au scrutin du 9 juin, nous publierons un article par pays de l’Union, pour prendre le pouls de la campagne des européennes sur tout le continent. Retrouvez tous les épisodes de cette série ici.

Au cours des cinq années écoulées depuis les dernières élections européennes, les pays de l’UE ont subi trois chocs successifs et étroitement liés : la pandémie de Covid-19, la crise énergétique et l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui s’est transformée en une guerre totale au cœur de l’Europe.

Ces trois chocs ont suscité des réponses collectives de l’UE d’une ampleur sans précédent. Quelle que soit leur efficacité, celles-ci ont rendu les politiques européennes communes très visibles dans la vie des citoyens, bien qu’avec d’énormes variations d’un pays à l’autre et un impact pas toujours positif. Les vaccins contre le Covid-19, les emprunts européens communs, les commandes conjointes de gaz naturel liquéfié (GNL), les subventions à l’électricité et l’armement de l’Ukraine contre la Russie sont autant de signes d’une tendance spectaculaire à «plus d’Europe» dans la vie de 450 millions d’Européens.

Mais ce «plus d’Europe» a, à son tour, déclenché de nouvelles crises et, avant tout, révélé certaines contradictions fondamentales dans la structure institutionnelle de l’UE. Par exemple, aucune des réponses sans précédent de l’UE aux trois grands chocs n’aurait été possible sans l’activation de la «clause pour récession économique sévère» du Pacte de stabilité et de croissance, la soupape de sécurité qui a permis de desserrer la «camisole de force» budgétaire de l’UE pendant quatre ans.

Vote national

Dans ce contexte, on pourrait s’attendre à ce que la plupart des citoyens du continent, dont les Grecs, votent lors des élections européennes de juin sur la base de considérations purement européennes. Une fois de plus, ce ne sera pas le cas – du moins pas en Grèce. Les partis qui se disputent les voix des quelque 9 millions de Grecs (ou de la moitié d’entre eux qui devraient se rendre aux urnes) pourront bien ajouter quelques touches de politique européenne à leur rhétorique, mais la compétition se jouera avant tout sur le plan de la politique intérieure.

Pour le parti au pouvoir, la Nouvelle Démocratie (ND, centre droit) du Premier ministre Kyriákos Mitsotákis, il s’agira de la première épreuve majeure après le double triomphe électoral de mai et juin 2023. Ces performances ont assuré sa domination tout en provoquant la fragmentation de l’opposition, notamment de gauche. A la place d’un Syriza uni – considéré jusqu’à l’été dernier comme le parti de gauche le plus puissant de l’UE, fort de son expérience de gouvernement (2015-2019) –, on trouve trois formations issues de sa scission : la vieille garde de Syriza elle-même, sous la direction de son nouveau chef Stéfanos Kasselákis ; une faction dissidente appelée Nouvelle Gauche ; et «Cosmos», un nouveau parti vert dirigé par l’eurodéputé Pétros Kókkalis. Le Pasok, autrefois puissant parti de centre gauche, court après la deuxième place derrière Syriza, tandis que le parti communiste KKE vise le vote «anti-européen» de la gauche. Quant à l’extrême droite, elle est séparée en trois partis. La formation la plus sinistre des trois, Solution grecque, mène actuellement la danse.

En somme, l’enjeu des élections européennes de juin en Grèce est de savoir si le mandat de cinq ans de Mitsotákis sera remis en question et si le déclin apparent de son parti profitera à la gauche ou à la droite de l’éventail politique. A première vue, ces élections ne relèvent pas tant du niveau européen. Pourtant, la dégradation accélérée du parti au pouvoir est alimentée par trois épisodes ayant pris une évidente tournure européenne.

Triple poids

Tout d’abord, le scandale des écoutes téléphoniques Predator, dans le cadre duquel des journalistes et des opposants politiques de Kyriákos Mitsotákis ont été illégalement surveillés à l’aide d’un logiciel du même nom. Cette affaire, qu’Efimerida ton Syntakton a largement contribué à révéler, est la plus grave d’une série de violations de l’Etat de droit qui a valu au gouvernement un vote de censure au Parlement européen, plaçant la Grèce au même rang que la Hongrie de Viktor Orbán. Le gouvernement continue de sanctionner les procédures-bâillons contre les journalistes dans le but de les réduire au silence ou à la faillite. Selon des évaluations d’institutions européennes et d’ONG, la Grèce tombe de plus en plus bas en termes de liberté de la presse. Cette dégradation rapide de l’image de la démocratie grecque coïncide avec le quinquennat de Mitsotákis, comme l’a constaté le Parlement européen. Il ne reste plus qu’à voir l’impact que cela aura sur les citoyens dans l’isoloir.

«Les voix de l'Europe», l'épisode précédent

Deuxièmement, il y a le «crime de Tempi», un accident ferroviaire qui, en mars 2023, a coûté la vie à 57 personnes, principalement des jeunes. Cette tragédie a révélé la façon scandaleuse dont les gouvernements grecs ont, pendant de nombreuses années, mal géré des sommes considérables de fonds européens et nationaux destinés à la modernisation du réseau ferroviaire grec, laissé dans un état primitif et dangereux pour les usagers. Le gouvernement et sa majorité parlementaire ont tenté d’occulter leur responsabilité dans l’accident, mais le parquet européen enquête à présent sur certains responsables des chemins de fer grecs pour avoir scandaleusement tardé dans la mise en œuvre des contrats financés par des fonds européens. Ces investissements auraient pu éviter ce qui aurait dû être impensable en Europe : une collision frontale entre deux trains.

Troisièmement, l’agitation rurale qui règne actuellement en Europe touche également la Grèce, où les agriculteurs votent traditionnellement pour le parti conservateur Nouvelle Démocratie. Le conflit porte sur des aspects fondamentaux de l’Union européenne : la réforme de la politique agricole commune (PAC) et son intersection avec le Pacte vert européen. Comme dans d’autres pays, les manifestations grecques ont inquiété le «clergé» bruxellois. Toutefois, il n’est pas certain que le gouvernement d’Athènes (ni ceux d’autres pays de l’UE) soit disposé à renégocier de manière substantielle les aspects de la nouvelle PAC les plus pesants pour les agriculteurs. En tout état de cause, les agriculteurs ont réussi à faire comprendre qu’ils constituaient une frange méfiante, volatile et imprévisible de la société grecque.