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Elections européennes en Hongrie : l’opposition à Viktor Orbán attend son heure

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Le 9 juin, les Hongrois désigneront leurs députés européens, mais aussi leurs maires et leurs gouvernements locaux. Un calendrier qui pourrait – pour une fois – favoriser l’opposition, que l‘outsider Péter Magyar aimerait incarner.
Péter Magyar, encore inconnu du grand public il y a quelques semaines, bouleverse les plans électoraux du Fidesz, le parti de Viktor Orbán. (Janos Kummer/AFP)
par Kata Moravecz, chercheuse et éditorialiste pour HVG
publié le 10 mai 2024 à 15h17

Cet article fait partie du projet collaboratif Voices of Europe 2024, impliquant 27 médias de toute l’UE et coordonné par Voxeurop. D’ici au scrutin du 9 juin, nous publierons un article par pays de l’Union, pour prendre le pouls de la campagne des européennes sur tout le continent. Retrouvez tous les épisodes de cette série ici.

Les prochaines élections en Hongrie s’annoncent intéressantes à bien des égards. Pour la première fois depuis leur adhésion à l’Union européenne, il y a vingt ans, les Hongrois désigneront les députés qu’ils enverront au Parlement européen (PE), leurs maires et leurs gouvernements locaux le même jour. Outre les 21 députés européens, il s’agira d’élire 3 177 maires (dont celui de Budapest), quelque 16 500 conseillers municipaux, 432 conseils de comitat (subdivision administrative hongroise entre l’Etat et la municipalité) et 33 conseils de la capitale.

Les règles électorales du pays, destinées à favoriser le gouvernement Fidesz (droite populiste) en place, incitent les partis de l’opposition, qui vont de la gauche à l’extrême droite, à faire campagne au sein d’une coalition. A l’inverse, le système électoral proportionnel des élections européennes permet aux partis de participer de façon autonome. Ils obtiennent ainsi de meilleurs résultats qu’aux élections nationales, du moins en ce qui concerne le nombre de sièges remportés. Mais ce n’est pas nécessairement parce que les électeurs souhaitent soutenir l’opposition ou punir davantage le gouvernement : en Hongrie, le système électoral est biaisé. Le découpage des circonscriptions électorales et les pots-de-vin aux vainqueurs y sont une réalité. Dans un tel système, il est parfaitement possible que le parti populiste et nationaliste du Premier ministre Viktor Orbán, Fidesz-Union civique hongroise, qui rassemble près de 50 % des voix à l’échelle nationale, obtienne deux tiers des sièges parlementaires et conserve sa majorité. Lors des élections européennes de 2019, le Fidesz avait obtenu 13 des mandats hongrois au Parlement européen avec 52 % des voix, contre huit mandats pour les partis de l’opposition. Si celle-ci n’avait pas remporté une victoire retentissante, elle avait tout de même fait mieux que d’habitude.

Pimenter le scrutin

Lorsque le gouvernement Fidesz a annoncé que les élections locales se tiendraient le 9 juin, soit le même jour que les européennes, de nombreux Hongrois ont accueilli la nouvelle avec méfiance, y voyant un nouvel outil électoral pour favoriser le pouvoir en place. Ce ne sera pas forcément le cas : la combinaison des deux élections pouvant servir – mais aussi desservir – les candidats proches du gouvernement. Le taux de participation aux élections européennes et locales est généralement faible en Hongrie, se situant dans une fourchette de 30 à 35 %. En 2019, le taux de participation aux élections s’est élevé à 43,58 %, soit l’un des taux les plus élevés jamais enregistrés du pays. Toutefois, ce chiffre reste bien en dessous de la moyenne européenne, avec un écart de près de dix points.

En faisant coïncider les élections locales avec les européennes, le gouvernement espère probablement pimenter les choses. En effet, les électeurs urbains ayant tendance à s’impliquer davantage dans les élections du Parlement européen, le Fidesz estime peut-être que le fait de combiner ces élections avec les municipales permettra de stimuler la participation dans les zones rurales. Cependant, lors des élections locales de 2020, plusieurs grandes villes ont élu des maires de l’opposition. C’est notamment le cas de Gergely Karácsony, le candidat de l’opposition à la coalition, qui a remporté la mairie de Budapest, la capitale. En résumé, si le Fidesz peut gagner des voix dans les villages, il risque aussi de mobiliser l’opposition dans les villes et de perdre des sièges à l’échelle locale.

Un autre phénomène politique majeur pourrait bien changer la donne. Il y a quelques semaines, Péter Magyar était encore presque inconnu du grand public en Hongrie. Depuis, l’homme d’affaires du Fidesz, qui est aussi l’ex-mari de l’ancienne ministre de la Justice Judit Varga, ne cesse de faire parler de lui – en effet, rares sont les anciens du parti à se retourner contre lui. Péter Magyar, lui, s’acharne à dénoncer publiquement le gouvernement de Viktor Orbán, et il a bien choisi son moment. Il n’aurait pas pu viser plus juste pour déstabiliser ceux qui dirigent depuis quinze ans un pays de l’UE qui glisse progressivement vers l’autocratie. Judit Varga a démissionné après avoir approuvé la grâce présidentielle d’un condamné proche du Fidesz dans une affaire de pédocriminalité. La présidente, Katalin Novák, a également quitté son poste.

La Hongrie est confrontée à une bien triste réalité. En l’absence d’une opposition politique crédible et unie pour contester le pouvoir d’Orbán, les électeurs cherchent en vain de nouveaux espoirs et de nouvelles promesses. Ils semblent même prêts à faire confiance à un homme d’affaires issu du Fidesz, qui a tourné le dos au parti, dénonce vigoureusement le régime actuel, fait fuiter des documents et promet encore davantage de preuves. Dans un récent sondage réalisé par Median, Péter Magyar jouissait déjà d’une notoriété de 68 %, et 13 % des personnes ayant entendu parler de lui ont déclaré qu’elles lui accorderaient leur vote, tandis que 20 % seraient prêtes à envisager de le faire.

Absence de force unificatrice

Si l’irruption de Péter Magyar dans le débat public a bouleversé les plans électoraux du Fidesz, elle n’a cependant pas égalisé les chances des partis de l’opposition, qui sont fragmentés et profondément divisés. En l’absence d’une force unificatrice, les électeurs sont désireux de trouver de nouveaux dirigeants, ce qui explique que de tels phénomènes soient largement débattus dans les médias indépendants hongrois. L’étude susmentionnée n’a pas montré de hausse ou de baisse significative des intentions de vote en faveur des partis dressés contre le Fidesz. Ainsi, l’émergence de Péter Magyar n’a pas particulièrement renforcé le soutien aux partis de l’opposition, mais ne leur a pas non plus fait perdre de terrain.

Si Péter Magyar n’obtient pas un soutien important de la part de l’opposition lors des élections au Parlement européen, c’est pour une raison simple : il ne peut pas y participer, puisque la date limite d’inscription des nouveaux partis était déjà passée lorsqu’il a commencé sa croisade politique. En attendant, une seule option s’offre à ce nouvel acteur politique : rejoindre un petit parti existant et se présenter sous sa bannière. De nombreux électeurs s’attendaient à ce que le nom d’une telle formation soit révélé à l’occasion d’un rassemblement organisé le 15 mars 2024, mais aucun accord n’avait encore été conclu. En outre, Péter Magyar ne dispose ni de l’organisation, ni des candidats nécessaires pour se présenter aux élections européennes ou locales. Il a déjà annoncé qu’il ne coopérerait avec aucun des grands partis de l’opposition existants, et il lui faudra bien plus d’un mois pour trouver et sélectionner les candidats qui formeront la nouvelle opposition hongroise non corrompue.

Le vote des électeurs soutenant une liste de candidats sous prétexte d’un lien avec Magyar pourrait conduire à l’élection de représentants inconnus ou incontrôlables, sans aucune garantie d’être correctement représentés au sein du Parlement européen. L’assemblée – où les eurodéputés de l’opposition hongroise ont réussi à faire désigner un vice-président et à obtenir plusieurs postes importants au sein des commissions – peut représenter un environnement hostile pour de tout nouveaux arrivants dans l’arène politique, sans aucune famille politique européenne. Il est donc peu probable que la nouvelle notoriété de Péter Magyar lui permette de se présenter comme candidat ou de prendre la tête d’un parti concurrent avant le mois de juin. Toutefois, les preuves de corruption avancées par l’ancien membre du Fidesz pourraient encore affaiblir le soutien dont bénéficie le parti au pouvoir, déjà discrédité par plusieurs scandales.

Ainsi, si les résultats des élections européennes de 2024 nous offriront un aperçu intéressant de l’état actuel de la politique du pays, ils ne permettront cependant pas de mettre un terme à la mainmise d’Orbán sur la démocratie hongroise, pas plus qu’ils ne feront taire les critiques de l’UE à son égard.