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Elections européennes en Italie : une affaire interne

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En Italie, les élections européennes de juin prochain n’ont soulevé aucun débat de fond sur les questions qui touchent l’Union européenne et se résument à un test électoral pour les partis.
Giorgia Meloni a déclaré dimanche 28 avril qu’elle se présentait comme tête de liste de son parti Fratelli d’Italia aux élections européennes. (Yara Nardi/Reuters)
par Alessandro Calvi, journaliste pour Internazionale
publié le 5 mai 2024 à 15h17

Cet article fait partie du projet collaboratif Voices of Europe, auquel participent 27 médias de toute l’Union européenne et qui est coordonné par Voxeurop. D’ici au scrutin du 9 juin, nous publierons un article par pays de l’Union, pour prendre le pouls de la campagne des européennes sur tout le continent. Retrouvez tous les épisodes de cette série ici.

Les élections européennes de juin prochain sont considérées en Italie comme à peine plus qu’un match politique interne, une occasion de redéfinir le rapport de force en place sur la base du résultat obtenu en Europe. Et ce, alors que les dernières élections nationales ont eu lieu à l’automne 2022 et qu’elles ont donné à la droite une majorité apparemment solide. Rien d’autre ne fait l’objet de discussions. Pourtant, on pourrait mettre de nombreux sujets à l’agenda européen.

La guerre en Ukraine, par exemple, ou la crise au Moyen-Orient, qui ont divisé et continuent de diviser même en interne la coalition de droite aujourd’hui au gouvernement ainsi que les oppositions de centre gauche. Ou encore les difficultés du monde agricole, qui ont attiré l’attention des politiques le temps nécessaire pour éteindre les protestations des travailleurs du secteur. En revanche, on a beaucoup parlé de la possible candidature de la présidente du conseil Giorgia Meloni et de la secrétaire du Parti démocrate (PD) Elly Schlein pour conduire leurs listes respectives, ainsi que de nouvelles alliances ou de la redéfinition de celles déjà en place. Bref, on a discuté essentiellement de questions d’ordre tactique.

Il faut cependant préciser qu’au-delà de la conflictualité typique du système politique italien, l’attitude des partis a été encouragée par le hasard du calendrier : les élections européennes interviennent après une série d’importantes consultations régionales, ce qui a favorisé un climat de campagne permanent. Bien que l’Italie ne soit pas un Etat fédéral, les régions ont un poids politique et institutionnel considérable, puisqu’elles disposent de pouvoirs législatifs. Ce n’est pas un hasard si les élections régionales finissent toujours par avoir un impact au niveau national, presque comme s’il s’agissait d’élections américaines de mi-mandat, donc également utiles pour évaluer le taux de popularité du gouvernement. Par exemple, les élections qui ont eu lieu le 25 février en Sardaigne et le 10 mars dans les Abruzzes ont été interprétées sous cet angle. Les premières ont été remportées par le centre gauche, les secondes par la droite.

Nationalisme

Pour les élections européennes de juin, le scrutin se fera à la proportionnelle. Chaque parti devra donc se mesurer par rapport à tous les autres, adversaires ou alliés. C’est notamment le cas de la coalition de droite formée par Forza Italia (FI, droite), la Ligue et Fratelli d’Italia (FdI, extrême droite). Derrière une apparente concorde, l’axe FdI-Ligue est depuis longtemps affaibli par une concurrence féroce, alimentée par la crise de consensus et de leadership au sein de la Ligue et le renforcement électoral parallèle et impétueux de FdI.

Le quotidien La Repubblica résume la relation entre les dirigeants des deux formations, la Première ministre Giorgia Meloni (FdI) et son adjoint Matteo Salvini (Ligue) sur un ton plutôt imagé : «Quand elle voit [la présidente de la Commission européenne Ursula] von der Leyen à Rome, lui crie à la télévision qu’Ursula est “la perte de l’Europe”. Elle, comme une bonne petite-fille, s’envole pour Washington pour se faire embrasser sur le front par papy Biden ; lui, comme un parfait empêcheur de tourner en rond, félicite [Donald] Trump pour ses succès lors du Super Tuesday.» Mais en fait, cela fait longtemps que les deux, bien qu’alliés, cultivent des stratégies différentes. Y compris dans la perspective de la projection européenne.

Divergences

Meloni continue de s’adresser à l’électorat italien en exprimant des positions nationalistes et de droite, mais lorsqu’elle franchit les frontières, elle préfère désormais paraître modérée et adopter un ton institutionnel. Ce changement d’attitude s’est notamment manifesté par la prise de positions atlantistes sur la guerre en Ukraine, alors que Salvini est toujours considéré par de nombreux observateurs comme proche de la Russie de Vladimir Poutine. En termes d’alliances en Europe, la Ligue et FdI suivent également des chemins différents.

En effet, Meloni cultive une relation avec Ursula von der Leyen, qui vient d’être à nouveau désignée par le Parti populaire européen (PPE) candidate à sa propre succession, dans l’espoir d’obtenir une position plus influente au sein de l’Union, ou du moins de se voir légitimée en Europe, malgré l’héritage post-fasciste dont elle ne s’est pas encore affranchie en Italie.

La Ligue, en revanche, traîne en Europe avec l’aile droite radicale du groupe Identité et Démocratie auquel appartiennent, entre autres, le Rassemblement national de Marine Le Pen et les Allemands d’Alternative für Deutschland (AFD), contre lesquels Von der Leyen elle-même s’est déchaînée dans le discours où elle a demandé l’investiture du Parti populaire européen.

Une situation similaire se retrouve également dans le camp du centre gauche, où le Parti démocrate et le Mouvement 5 étoiles (M5s) ne parviennent tout simplement pas à construire les conditions d’une alliance stable qui dépasse la forme d’un cartel électoral. La raison réside dans l’inspiration politique différente qui les anime – démocratique et libérale pour le PD, ouvertement populiste pour le M5 – et dans l’enracinement différent de leurs électorats respectifs. Celui du M5 se trouve également à droite et, aux Etats-Unis, est plus proche du républicain Donald Trump que du démocrate Joe Biden.

Dans ce contexte, de nombreux observateurs estiment qu’une surenchère de tons polémiques est inévitable, même – et surtout – entre alliés. Avec l’espoir que, tout en discutant du pouvoir et de sa réorganisation selon le résultat des élections européennes, l’on commence aussi à s’interroger sur ce qui est fait de ce pouvoir – en somme, que l’on parle de politique, concrètement.