Cet article fait partie du projet collaboratif Voices of Europe 2024, impliquant 27 médias de toute l’UE et coordonné par Voxeurop. D’ici au scrutin du 9 juin, nous publierons un article par pays de l’Union, pour prendre le pouls de la campagne des européennes sur tout le continent. Retrouvez tous les épisodes de cette série ici.
Plusieurs mois avant les élections, le Parlement européen (PE) a lancé une campagne de communication soulignant l’importance du vote pour la sauvegarde de la démocratie. Le slogan est : «Votez ! Ne laissez pas les autres décider pour vous.» Dans le cas de la Lettonie, rares sont ceux qui ont la moindre idée de qui est cet «autre».
Ce que les organisateurs de la campagne du PE et de la Commission électorale centrale de Lettonie ne disent pas complètement, c’est que cet «autre» est désormais clairement la Russie. On ne peut pas dire que les institutions n’essaient pas de faire passer ce message : la campagne a produit une vidéo montrant des grands-mères et des grands-pères partageant avec leurs petits-enfants leurs souvenirs des horreurs de la guerre, de ce qu’ils ont dû surmonter pour gagner leur liberté. Une référence à la Seconde Guerre mondiale qui fait écho à la guerre sanglante du Kremlin en Ukraine, ainsi que ses tentatives d’influencer les sociétés d’autres pays, les choix démocratiques des gens. C’est lors des élections que la Russie voit et veut voir les résultats de sa guerre hybride. Disons-le, cela fait partie de ses KPI ( «Key Performance Indicators»). On ne peut pas dire qu’elle échoue. Ici en Europe, il suffit de voir comment la Slovaquie, après les élections, est soudainement passée du soutien à l’Ukraine à l’idée que l’envoi d’armes à Kyiv est inutile. Ou encore la Hongrie, qui utilisera tous les moyens possibles pour justifier que le soutien à l’Ukraine n’est pas si évident.
Dans une interview accordée à Delfi TV, l’ancien président letton Valdis Zatlers s’est exprimé sans détour : «Il s’agit d’un vote en temps de guerre. C’est pourquoi vous devez voter. Chaque vote est très important. Aussi éloignés que puissent paraître Bruxelles et ses célèbres couloirs, c’est là que se cimente l’attitude commune de l’ensemble de l’Europe en faveur de l’Ukraine.»
Passivité des citoyens
Aux législatives lettones de 2022, le taux de participation s’élevait à 59,43 %. Comme dans d’autres pays, l’intérêt pour le PE en Lettonie est loin de l’attention portée au champ politique local : en 2019, 33,53 % de la population s’est rendue aux urnes, contre 30,24 % en 2014. Nettement moins que lors des élections nationales.
Une situation choquante, car il y a des listes électorales en Lettonie qui seraient ravies de profiter de la passivité des citoyens. Nous avons un candidat, le leader du «Parti du centre», qui n’hésite pas à parler de l’appartenance de la péninsule de Crimée à la Russie. Nous avons des candidats qui promettent de reconsidérer la dépendance de la Lettonie à l’égard de l’UE – la priorité va aux intérêts du pays ou à la sortie de «l’Union qui étrangle», comme l’ont souligné les représentants du parti «Stabilité». Il va sans dire que ce parti est également favorable à la levée des sanctions contre la Russie. Le chef du parti «Sovereign Power» estime quant à lui que la guerre en Ukraine a été déclenchée par les deux pays. La formation New Latvians a pour sa part intégré dans ses rangs une personne qui a été arrêtée pour avoir glorifié les crimes de guerre russes. Et encore une autre, Latvia First, emmène une délégation en Chine et prône la coopération avec ce pays.
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L’expérience nous incite également à la prudence : depuis des années, la Lettonie compte une députée européenne, Tatjana Ždanoka, dont la coopération avec les services russes a été parfaitement identifiée par les journalistes. L’opinion publique se pose une question légitime : est-elle la seule ?
Son parti a été exclu des élections de cette année. Où iront les votes de Ždanoka ? Ce sont les voix qui seront les plus disputées – et c’est pourquoi nous devons voter pour des partis qui sont favorables aux valeurs lettones et démocratiques et qui ont clairement défini leur position sur l’Ukraine. En Lettonie, nous avons le choix, avec 16 formations qui se présentent aux européennes, de droite, de centre gauche et de gauche. Nous avons le choix.
Au-delà des déclarations et des attitudes des candidats au Parlement européen, nous assistons à des événements dangereux en Lettonie – tout récemment, des engins incendiaires ont été lancés dans les locaux du musée de l’Occupation. Nous constatons également que des infrastructures ferroviaires ont pu être endommagées de manière malveillante. Le 9 mai, lorsque la victoire sur le nazisme est célébrée sur la Place Rouge du Kremlin, nombre de trolls propagent la propagande poutinienne sur Internet.
Un enjeu : la sécurité
Quels sont les enjeux de ces élections pour la Lettonie ? La réponse est simple : la sécurité. Il est vrai cependant que de plus en plus de personnes se disent fatiguées des nouvelles concernant la guerre. C’est ce que montrent les chiffres de l’enquête de la Chancellerie d’Etat : aujourd’hui, plus de deux ans après le début de la guerre, la part de la population qui a éprouvé des sentiments «désagréables» à ce sujet au cours de la semaine écoulée a nettement diminué par rapport à l’enquête précédente de mars 2022. En revanche, l’indifférence a, elle, augmenté de manière significative :une personne sur sept en a ressentie au cours de la semaine écoulée. La pauvreté, le coût de la vie et les soins de santé sont des questions plus importantes pour de nombreuses personnes en Lettonie.
Le tableau n’est donc pas encourageant : d’une part, nous constatons une augmentation de l’indifférence ; d’autre part, à l’approche des élections du Parlement européen, nous voyons des exemples de campagnes et d’activités politiques défavorables à la Lettonie.
Slogans tapageurs
De temps en temps, j’assiste à des discussions sur le fait de savoir si le vote est un privilège ou un devoir, avec différentes variantes. Je pense que dans le monde fragmenté de l’information où nous vivons, il est important de faire passer un message : expliquez ce qu’est le Parlement européen. Le rôle des médias devient indispensable, car c’est ainsi que l’on peut inciter les gens à se rendre aux urnes, même si un barbecue ou une sortie en famille est prévu ce jour-là.
Les gens apprécient les avantages de l’UE, mais ils trouvent les politiques, les institutions et les initiatives de l’UE plutôt ennuyeuses. Les fonctionnaires, les officiels et les médias ne parviennent pas à trouver des sujets suffisamment intéressants pour retenir leur attention. Nous nous perdons souvent dans des clichés, des textes technocratiques ou des slogans tapageurs. Mais cette élection en Lettonie est différente. Les enjeux ne sont plus principalement liés au budget de l’UE, aux intérêts des agriculteurs, à l’écologie, à la numérisation ; l’accent est mis sur la guerre en cours sur le continent européen. Expliquer cela – contrairement à tout ce qui précède – est une tâche plus réaliste. Nous devons tout mettre en œuvre pour y parvenir.