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Les voix de l'Europe (8/27)

Elections européennes en Lituanie : un scrutin loin des préoccupations du peuple

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Des trois scrutins qui se tiendront cette année en Lituanie, l’élection des députés au Parlement européen est celui qui retient le moins l’attention. Bruxelles semble lointaine aux yeux des électeurs lituaniens et leurs choix pourraient s’avérer irrationnels.
A Vilnius, le 14 juillet 2023. (Dominika Zarzycka/AFP)
par Dalia Plikūnė, journaliste pour Delfi
publié le 4 mai 2024 à 15h48

Cet article fait partie du projet collaboratif Voices of Europe 2024, impliquant 27 médias de toute l’UE et coordonné par Voxeurop. D’ici au scrutin du 9 juin, nous publierons un article par pays de l’Union, pour prendre le pouls de la campagne des européennes sur tout le continent. Retrouvez tous les épisodes de cette série ici.

C’est une constante. Les élections européennes, qui permettent de désigner les députés au Parlement européen (PE), sont celles qui mobilisent généralement le moins les foules en Lituanie. Vladas Gaidys, sociologue et directeur de l’institut de sondage Vilmors, est même un peu perdu à leur sujet. «A vrai dire, je n’ai pas accordé [à ce scrutin] beaucoup d’attention, concède-t-il. Tout le monde s’intéresse davantage à la présidentielle.» Des trois élections qui auront lieu cette année à l’échelle du pays – la présidentielle, les législatives et les européennes –, il trouve, lui aussi, que ces dernières sont les moins captivantes et les plus obscures aux yeux des Lituaniens.

«Le plus intéressant, bien sûr, c’est la présidentielle, souligne-t-il. Là, on peut regarder un candidat dans les yeux, comme en athlétisme ou lors d’une course de chevaux. Il est plus difficile de regarder les partis dans les yeux, mais même ainsi, il y a toujours de l’excitation. Mais là, [le Parlement européen,] c’est quelque chose de très éloigné. Certes, on représente vos intérêts, mais il faut être un spécialiste pour comprendre le sujet.»

Un aveu d’impuissance

Pour Vladas Gaidys, il faudrait chercher longtemps pour trouver une campagne électorale propre au Parlement européen se déroulant en Lituanie. Vytautas Dumbliauskas, politologue à l’université Mykolas Romeris (MRU) de Vilnius, ne plaisante, lui, qu’à moitié quand il dit que les élections européennes n’intéressent que ceux figurant sur les listes des partis. «Le Parlement européen ne détermine pas beaucoup la vie d’une personne ordinaire. Il est en quelque sorte impuissant. La Commission européenne, qui n’est élue par personne, a plus de pouvoir qu’un parlement élu par les citoyens», argumente-t-il.

Mais les électeurs sentent instinctivement que les politiciens y reçoivent un gros salaire, suggère Dumbliauskas. «L’élue Ausra Maldeikiene a écrit publiquement, il y a peut-être un an, combien elle gagnait en tant que députée européenne avec toutes ses indemnités pour les voyages et autres. Il s’agissait de 14 000 à 15 000 euros. Ce montant dépasse l’entendement d’un Lituanien comme moi.»

Pour lui, les partis expédient surtout des politiciens chevronnés au Parlement européen. «Les libéraux ont envoyé une fois [le philosophe] Leonidas Donskis, et c’était un honneur et une source de fierté qu’une telle personne représente la Lituanie. Mais il y a d’autres députés européens, comme [l’entrepreneur d’origine russe Viktor] Uspaskich, qui me font honte en tant que citoyen lituanien.»

Un siège au chaud à Bruxelles

Le chercheur Dumbliauskas remarque avec dépit qu’il n’est pas toujours bon pour les partis politiques que leurs personnalités les plus influentes s’habituent à avoir un siège gardé au chaud à Bruxelles. «Prenez [la dirigeante] Vilija Blinkeviciute. Je ne pense pas qu’elle se surmène au sein du Parlement européen. Il est évident qu’elle veut rester à Bruxelles, qu’elle ne veut être ni présidente de la République, ni Première ministre», lance le politologue. «C’est une tragédie pour les sociaux-démocrates. Elle est peut-être en train de nuire au parti. Car quel autre leader fait autant poireauter ses camarades ?»

A la question de savoir comment les électeurs votent aux élections européennes, l’analyste n’est pas convaincu que la raison soit un facteur important. «Ils regardent surtout la photogénie du candidat, leur relation avec lui – qu’ils l’apprécient ou non», affirme-t-il. Mais il est important qu’au moins sept ou huit des onze députés européens lituaniens adoptent une approche active de leur travail. «L’Europe est en train de subir un bouleversement. Le monde est en train de s’effondrer sous nos yeux. Il se transforme en match de basket sans règles», observe-t-il au sujet des circonstances difficiles dans lesquelles les députés européens devront trouver des solutions.

«Les voix de l'Europe», l'épisode précédent

Politologue à l’Institut d’analyse politique de Vilnius, Matas Baltrukevicius convient que cette élection ne se transformera pas en bataille d’idées. «Il est évident que de nombreux partis ne sont pas particulièrement préoccupés par ce scrutin, déclare-t-il. Les formations qui se présentent à l’élection présidentielle s’y investiront davantage, même si elles savent que leur candidat ne fera pas un bon score. Cela s’explique par le fait qu’à l’approche des élections législatives [prévues avant octobre], la présidentielle donne plus de visibilité que les européennes.» Celles-ci ne coïncideront pas avec le scrutin roi cette année et le taux de participation sera donc faible, souligne Baltrukevičius. «Il est simplement important que les partis fassent un score respectable», ajoute-t-il.

Rémunération avantageuse

Si l’on considère la situation dans son ensemble, Baltrukevicius est impressionné par les efforts déployés par le Parti de la liberté (LP, centre) pour présenter son programme. «C’est l’une des formations les plus dynamiques. Bien sûr, dans leur cas, il faut noter que [son candidat à la présidence] Dalnius Zalimas l’a été à la fois aux précédentes européennes et à la présidence, ce qui lui donne un poids supplémentaire.»

L’analyste n’exclut pas la possibilité que les eurodéputés élus puissent par la suite renoncer à leur nouvelle fonction. «Rien ne les empêche de démissionner immédiatement ou de siéger pendant quelques mois avant les élections du Seimas [le Parlement national]», affirme Baltrukevicius. «Le cas d’Aurelijus Veryga [ancien ministre issu de l’Union lituanienne agraire et des verts, centre-droit] est intéressant pour moi, car il est évident que Ramunas Karbauskis [leader du même parti] ne dispose pas des personnalités dont il a besoin pour sa liste aux élections du Seimas. Veryga est le seul. Beaucoup de choses dépendent donc de lui. A moins que Karbauskis ne change d’avis et ne décide qu’il veut lui-même être tête de liste.»

Baltrukevicius observe aussi que ces élections sont devenues une occasion pour les politiciens chevronnés de s’exiler dans un endroit où le travail est plus calme et où la rémunération est avantageuse. «Certains peuvent d’ailleurs y voir une retraite anticipée. Mais d’autres sont plutôt dynamiques. […] Chaque député européen a une histoire différente. Nous avons des actifs comme des passifs.»