Cet article fait partie du projet collaboratif Voices of Europe 2024, impliquant 27 médias de toute l’UE et coordonné par Voxeurop. D’ici au scrutin du 9 juin, nous publierons un article par pays de l’Union, pour prendre le pouls de la campagne des européennes sur tout le continent. Retrouvez tous les épisodes de cette série ici.
En Pologne, les élections européennes seront le troisième – et avant-dernier – volet d’une saison électorale qui s’est ouverte avec les législatives de l’automne 2023 et se clôturera avec la présidentielle prévue au printemps 2025. L’enjeu de ces quatre campagnes est la «reprise en main de l’Etat» (institutions, postes au sein de l’administration et sièges dans les organes élus) au parti illibéral Droit et Justice, qui a gouverné la Pologne jusqu’en décembre 2023. Les programmes et les politiques spécifiques de presque tous les partis sont subordonnés à ce combat principal : les partis de la coalition au pouvoir tentent de reprendre l’Etat en main, tandis que Droit et Justice essaie de défendre son implantation.
En octobre 2023, le PiS a remporté le plus grand nombre de voix mais a perdu le pouvoir. Une coalition formée par la Coalition civique de centre droit, la Troisième voie de centre agraire et la Nouvelle gauche lui a succédé. La priorité du nouveau gouvernement est de reconstruire l’Etat de droit. Cependant, la marge de manœuvre de la coalition est limitée par le président de la République, lié au gouvernement précédent et doté d’un droit de veto sur les lois votées par le Parlement. Les élections locales d’avril 2024 et les élections européennes de juin 2024 ne sont, de ce point de vue, qu’une étape dans la formation d’une nouvelle majorité, nécessaire pour reprendre la présidence.
Du centre vers la droite
Si les élections européennes avaient lieu aujourd’hui, la Coalition civique (appartenant au groupe du Parti populaire européen au Parlement européen) pourrait compter sur la première place et environ un tiers des voix, Droit et Justice (ECR, droite souverainiste) sur la deuxième place et environ un quart des voix, tandis que la Troisième Voie (PPE + Renew), la Nouvelle Gauche (Sociaux-démocrates, S & D) et la Confédération d’extrême droite (Identité démocratique, ID) se disputeraient la troisième place. En conséquence, le nombre d’eurodéputés polonais dans les groupes PPE et Renew augmenterait, tandis que le nombre de représentants au sein de l’ECR diminuerait. Contrairement à la tendance observée dans la plupart des pays de l’UE, les électeurs polonais éliraient aujourd’hui plus de représentants centristes et moins de représentants de droite qu’auparavant.
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Cela ne signifie pas pour autant que les débats et les décisions dans des domaines spécifiques, notamment tels que l’écologie ou la politique migratoire, seront désormais moins marqués à droite. Sur ces questions, il ne faut pas s’attendre à ce que la politique se déplace vers le centre : c’est plutôt le centre qui se déplacera plus fortement vers la droite.
Le fait politique le plus important en Pologne et dans l’ensemble de l’UE en ce moment, ce sont les manifestations des agriculteurs. Ces derniers protestent contre les importations de produits agricoles en provenance d’Ukraine et contre les réglementations du Green Deal européen. Ces manifestations bénéficient d’un soutien public dont l’ampleur est sans précédent depuis la chute du communisme en Pologne. Selon un sondage Ipsos pour Oko.press et TOK FM réalisé au cours de la dernière semaine de février, pas moins de 78 % des Polonais soutiennent ces protestations, y compris les habitants des grandes villes et les partisans du gouvernement.
Lorsque les personnes interrogées ont été confrontées à un choix entre d’une part, les intérêts des agriculteurs polonais et les préoccupations environnementales et climatiques et les besoins de l’Ukraine de l’autre, cela n’a pas diminué leur soutien aux paysans. Le gouvernement ne peut donc pas ignorer les problèmes des agriculteurs, ce qui se traduit par une position dure dans les pourparlers avec l’Ukraine et de plus en plus de déclarations de représentants du gouvernement prenant leurs distances par rapport aux réglementations européennes sur le climat.
Promesses non tenues
L’attitude de la population peut changer, mais les agriculteurs resteront un groupe clé d’électeurs dans tous les cas. Leur démobilisation relative lors des élections d’octobre a été l’un des facteurs qui a le plus fortement influencé le résultat. Les agriculteurs n’ont pas voté pour l’opposition de l’époque, mais beaucoup sont restés chez eux, cédant le terrain aux opposants les plus mobilisés du gouvernement du PiS, en particulier les femmes et les jeunes électeurs.
Quelques mois après les élections, incapables d’attendre la libéralisation des lois sur l’avortement promise par Donald Tusk «dans les 100 jours», ces derniers ont des raisons d’être découragés. Pendant ce temps, les agriculteurs sont mobilisés comme jamais auparavant et il est peu probable qu’ils votent pour les partis qui forment le gouvernement actuel, même s’il n’est pas acquis qu’ils choisissent le PiS ou la Confédération. La tentative d’éteindre les protestations et de satisfaire les revendications des agriculteurs signifie que le gouvernement prendra ses distances avec le Green Deal, tant dans le débat national qu’au sein de l’Union européenne.
Un autre sujet potentiellement inflammable : la politique frontalière et migratoire. Droit et Justice accuse depuis longtemps les partis formant le gouvernement actuel d’avoir l’intention d’ouvrir les frontières de la Pologne à l’immigration irrégulière en succombant aux «diktats de Bruxelles». La Coalition civique se défend en affirmant que ses prédécesseurs sont responsables de l’immigration irrégulière et que le nouveau gouvernement tente de sceller les frontières en rectifiant leurs erreurs.
«Les voix de l'Europe», l'épisode précédent
Pour l’instant, le gouvernement a remplacé la porte-parole des gardes-frontières, mais poursuit par ailleurs les actions de ses prédécesseurs, affirmant que seuls des «refoulements éthiques» sont désormais effectués. Du point de vue des organisations humanitaires qui s’occupent des violations à la frontière entre la Pologne et le Bélarus, le changement de gouvernement n’a pas amélioré la situation des droits humains des réfugiés. A l’approche des élections (européennes et probablement aussi présidentielle), le gouvernement ne voudra pas faire preuve de «faiblesse» à l’égard de ceux qui tentent d’entrer en Pologne. Comme dans le cas du Green Deal, cela se traduira à la fois par des mesures au niveau national et par les positions de la Pologne au sein de l’Union européenne.
Les élections européennes en Pologne se caractérisent par un certain paradoxe. En ce qui concerne les votes des électeurs et les sièges au Parlement européen, le centre de gravité se déplacera de la droite vers le centre. En ce qui concerne le discours politique et les positions du gouvernement polonais au sein du Conseil, le centre de gravité se déplacera de plus en plus vers la droite.