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Les voix de l'Europe (25/27)

Elections européennes en Slovénie : un quadruple référendum sur le retour de Janez Janša

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En Slovénie, trois référendums sur des questions sociales controversées telles que l’euthanasie et la libre consommation de cannabis sont organisés en même temps que les élections européennes. De quoi attirer davantage d’électeurs dans les isoloirs, mais aussi fournir à l’ancien Premier ministre populiste Janez Janša un tremplin pour revenir au pouvoir.
Janez Janša, à Bruxelles en 2022. (Kenzo Tribouillard/AFP)
par Matija Stepišnik, rédacteur en chef de Večer
publié le 3 juin 2024 à 6h37

Cet article fait partie du projet collaboratif Voices of Europe 2024, impliquant 27 médias de toute l’UE et coordonné par Voxeurop. D’ici au scrutin du 9 juin, nous publierons un article par pays de l’Union, pour prendre le pouls de la campagne des européennes sur tout le continent. Retrouvez tous les épisodes de cette série ici.

Pour mobiliser les électeurs lors des élections européennes, le parti au pouvoir Gibanje Svoboda (centre gauche), appartenant au groupe Renew Europe au Parlement européen (centre), a trouvé une combine. Organiser trois référendums en même temps : sur le droit à l’euthanasie volontaire, sur l’introduction d’un système de vote préférentiel et sur l’utilisation récréative du cannabis.

La Slovénie élit des députés européens depuis 2004, date de son adhésion à l’Union européenne. La participation slovène à la démocratie européenne s’est toujours caractérisée par un faible taux de participation, compris entre 28 et 29 %. Le taux de participation a fini au plus bas en 2014 – seulement 24,55 %. Toutefois, les dernières élections de 2019 ont montré une légère tendance à la hausse. Le pari est de mobiliser davantage l’électorat de gauche et libéral, qui reste généralement à la maison lors des élections européennes. En Slovénie, le vote tactique lors des élections européennes est moins important, et plus d’électeurs loyaux et traditionnels se rendent aux urnes pour soutenir leur parti préféré. C’est pourquoi la droite, qui dispose d’un électorat plus discipliné, tend à remporter un peu plus de succès lors des scrutins européens.

Pas vers l’extrême droite

De nombreuses inconnues subsistent quant à l’issue du scrutin cette année. La seule chose qui est pratiquement sûre est la victoire attendue du plus grand parti d’opposition, le Parti démocratique slovène (SDS, droite), dirigé par Janez Janša, trois fois Premier ministre. Le SDS est membre du Parti populaire européen (PPE, droite), mais a fait un pas notable vers l’extrême droite lors de son dernier mandat. Janez Janša et ses eurodéputés (Milan Zver et Romana Tomc) n’excluent d’ailleurs pas que le parti suive son proche allié, le Premier ministre hongrois Viktor Orbán, qui a quitté le PPE il y a quelque temps. Le SDS est également le seul parti à avoir établi sa liste depuis des mois et à mener une campagne politique structurée. Il est connu pour prendre la politique européenne beaucoup plus au sérieux que les partis qui sont apparus sur la scène politique slovène peu avant les élections ces dernières années.

L’un de ces partis est Gibanje Svoboda (GS), qui, bien qu’étant une force totalement nouvelle sur la scène politique, a remporté une victoire écrasante lors des dernières élections législatives. Mais ses membres semblent manifestement beaucoup moins intéressés par les affaires européennes. Sa liste sera menée par l’actuelle députée européenne Irena Joveva, mais le parti a laissé tomber un autre député, Klemen Grošelj, pourtant considéré comme fort et convaincant au sein de l’équipe parlementaire slovène à Bruxelles et à Strasbourg. Gibanje Svoboda mise désormais beaucoup sur les réseaux sociaux pour mener sa campagne, mais n’a préparé aucun programme sérieux et élaboré.

Propagande prorusse

Contrairement au SDS qui défend clairement un programme concentré sur la migration, la réévaluation de la transition verte, la défense des valeurs traditionnelles (opposition aux questions relatives à la défense des personnes LGBT+), tout en prônant un euroscepticisme non dissimulé (critique de l’administration bruxelloise). Le parti soulève également des questions idéologiques fortes, une partie de sa rhétorique est le marxisme culturel, ainsi que les besoins politiques quotidiens et les questions de l’histoire récente de la Slovénie.

Le parti a été ébranlé par l’affaire «Voice of Europe» (aucun lien avec notre initiative «Voices of Europe 2024»), lorsque des membres éminents du SDS, qui soutenaient par ailleurs fermement l’Ukraine, sont apparus dans les médias dans ce qui s’est avéré faire partie d’une opération de propagande prorusse. Toutefois, leur soutien à Viktor Orbán, la marionnette européenne de Vladimir Poutine, ne doit pas être négligé.

Gibanje Svoboda se positionne comme le pôle libéral opposé à l’option conservatrice portée par Janša et comme le garant de la démocratie, de l’Etat de droit et contre la souveraineté, le populisme et le conservatisme, mais n’a jusqu’à présent pas pris de position plus claire sur d’autres questions préélectorales importantes. Par exemple, Gibanje Svoboda a fortement soutenu la campagne de l’Institut du 8 mars pour des élections sûres et sécurisées. Durant le dernier mandat de Janša à la tête du gouvernement, qui a coïncidé avec la crise du Covid-19, les accusations de violations des droits humains ont été particulièrement nombreuses.

Scandale de corruption

Le fait que le Premier ministre, Robert Golob, ait déjà annoncé en avril 2024 qui serait le candidat slovène au poste de commissaire européen, à savoir l’ancien président de la Cour des comptes Tomaž Vesel, a donné un certain élan à la campagne électorale européenne. En ce qui concerne les affaires européennes, le Premier ministre slovène a déjà soutenu le nouveau mandat d’Ursula von der Leyen à la tête de la Commission.

Parmi les partis slovènes les plus importants au niveau européen, on trouve les Sociaux-Démocrates (SD, centre gauche, affiliés au S&D au Parlement européen), secoués, à l’approche des élections, par un important scandale de corruption lié à l’achat du bâtiment du tribunal central de Ljubljana, qui a entraîné la démission de la ministre des Affaires étrangères, Tanja Fajon, du poste de cheffe du parti, à la mi-avril. Ces élections pourraient s’avérer fatales pour la formation, qui a vu son soutien fortement diminuer dans le pays, et qui compte actuellement deux députés européens. Une détérioration significative de ses résultats, voire son exclusion du Parlement européen, serait un désastre.

Pour la première fois dans la campagne, qui n’a pas encore atteint son point culminant, nous constatons la présence de forces politiques plus populistes qui ne cachent pas leur agenda prorusse, antisécessionniste et souverainiste. Dans une large mesure, ces élections européennes seront marquées par des conflits politiques internes et seront perçues par les politiciens et le public comme une succession de déclarations sur le pouvoir de Robert Golob, qui, pour l’heure, est à la moitié de son mandat. Les référendums vont aussi détourner l’attention de questions européennes fondamentales, comme la question du suicide assisté ou de l’euthanasie – un sujet controversé qui polarise la société.