«T’es où le 9 juin ?» demandent les stickers multicolores de La France insoumise collés sur les lampadaires et les gouttières. «Tu fais quoi le 9 juin ?» interroge, presque en écho, la campagne des jeunes de Place publique. Alors que les élections européennes approchent, les partis se mettent en quête d’électeurs qui ont souvent boudé les urnes : les jeunes. En 2019, la participation des moins de 25 ans avait bondi de 13 points, pour atteindre 42 %. Même s’ils votaient toujours moins que les plus âgés (54 % de participation pour les plus de 55 ans), les jeunes avaient aidé à relancer l’intérêt pour les élections européennes.
Leurs idées aussi avaient pesé : les marches et les grèves scolaires pour le climat s’étaient traduites par une poussée des écologistes, puis par l’adoption du Pacte vert, un ensemble de mesures pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Cette année, il est encore plus important de gagner leur voix, ou au moins de les amener aux urnes. Des millions de jeunes vont voter pour la première fois, en particulier en Belgique et en Allemagne, où l’âge légal pour participer au scrutin vient d’être abaissé à 16 ans. On compte 11,9 millions de primo-votants rien qu’en France, en Allemagne et en Italie, soit plus que toute la population tchèque ou plus de deux fois celle des Etats baltes.
Pour les inciter à voter, à faire un choix conscient et à s’intéresser au travail du Parlement européen, deux applications ont été développées, rien qu’en France. La première, Adeno, traduite en 23 langues, s’inspire d’Elyze, le «Tinder de la présidentielle». L’utilisateur répond à des quiz sur toutes sortes de mesures jusqu’à ce qu’il «matche» avec une tête de liste. La seconde, Vote Finder, fait appel au même principe, mais en utilisant les votes passés au Parlement européen plutôt que les propositions des programmes.
Un écart de genre plus marqué
Mais cette année, rien ne dit qu’une hausse de la participation des jeunes se traduirait par un élan vert et pro-européen, comme en 2019. «Entre-temps, les partis d’extrême droite ont rajeuni leur image et réussi à attirer de nombreux jeunes électeurs. Dans plusieurs pays, comme en Autriche, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Pologne, au Portugal, en Espagne et en Suède, les jeunes, surtout les jeunes hommes, sont une base électorale importante pour l’extrême droite», pointe Pawel Zerka, dans une note du Conseil européen pour les affaires étrangères (ECFR).
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Les chiffres abondent en ce sens, tant dans les sondages que dans les résultats des élections récentes. Aux Pays-Bas, les 18-34 ans ont placé le Parti de la liberté de Geert Wilders en première position lors des élections législatives de novembre 2023, à l’image du reste des électeurs. En Allemagne, 22 % des moins de 30 ans disent vouloir voter pour l’AfD aux européennes, soit cinq points de plus que la moyenne des électeurs. En France, un sondage Ifop effectué en avril estimait que 32 % des 18-35 ans voteraient pour le Rassemblement national, un taux proche de la moyenne nationale.
Cette tendance se double d’une division hommes-femmes dans la plupart des pays. En Belgique par exemple, le Vlaams Belang d’extrême droite est en tête des intentions de vote en Flandre, avec 27 %. Les jeunes hommes (moins de 27 ans) sont près de 32 % à vouloir lui donner leur voix, contre moins de 9 % des jeunes femmes. Cet écart de genre, que l’on retrouve aussi de l’autre côté de l’Atlantique, n’est pas complètement nouveau mais il se fait de plus en plus marqué. Plusieurs facteurs ont été évoqués pour tenter de l’expliquer, de la prise de conscience féministe aux différents types d’emplois occupés par hommes et femmes.
Une dégradation générale des tendances
Au-delà du vote pour des partis d’extrême droite, le rapport des jeunes à la société et à l’Union européenne inquiète. Les études dessinent le portrait d’une génération pessimiste, inquiète pour le futur, qui a le sentiment que ses conditions de vie se dégradent. D’après le dernier Eurobaromètre analysé par le Guardian, «les attitudes à l’égard de l’immigration se sont durcies chez les jeunes répondants depuis les dernières élections européennes». 35 % des 15-24 ans se disent opposés à l’immigration, contre 32 % il y a cinq ans. Chez les 25-34 ans, cette part est passée de 38 à 42 %. C’est surtout la jeunesse d’Europe centrale et de l’est qui tire les chiffres vers le haut. En Pologne ou en Hongrie, des pays très opposés à l’immigration, les plus jeunes sont les plus durs sur le sujet. En Pologne par exemple, 52 % de la génération Z (née après 1997) a une image négative de l’immigration, contre 42 % des millenials (nés entre 1980 et 1997) et 39 % de la génération X (nés entre 1965 et 1980).
D’autres enquêtes suggèrent que la méfiance des jeunes envers les institutions européennes grandit. En Allemagne par exemple, les 15-24 ans ont toujours une vision globalement plus positive du Parlement européen que le reste de la population allemande, mais c’est en train de changer. En 2021, le Parlement européen recevait 51 % d’opinions favorables dans cette tranche d’âge, un plus haut historique, avant de tomber à 34 % deux ans plus tard. De la même manière, ils ne sont plus que 51 % à vouloir accroître les pouvoirs de l’hémicycle, contre 75 % en 2021.
Plus à l’est, les tendances sont encore plus inquiétantes. «En Bulgarie, les études d’opinion ont révélé un soutien mitigé à la démocratie dans la tranche d’âge 18-24 ans : plus de la moitié des interrogés préférerait un dirigeant fort qui n’aurait pas à s’occuper du Parlement et des élections», pointe un article du Centre d’analyse des politiques européennes (Cepa), qui se réfère à des données de 2023. 71 % des 18-34 pensent aussi que l’UE dicte sa loi à la Bulgarie. Dans le pays, l’extrême droite pro-russe pourrait rassembler 15 % des voix.
Tout alarmants qu’ils soient, ces chiffres ne signifient pas que la jeunesse est sur le point de basculer massivement à l’extrême droite. Mais comme le résume Pawel Zerka, «il serait inquiétant, et très ironique, que cette fois, l’orientation progressiste de l’Europe soit défendue non pas par les jeunes, mais contre eux».