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Elections européennes : l’Autriche et l’UE, une relation compliquée

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Vienne a bien profité de l’Europe. Ce qui n’empêche pas les eurosceptiques d’être bien placés en vue du scrutin du 9 juin.
L'Autriche, membre nanti de l'UE dont les habitants figurent pourtant parmi les eurosceptiques. (Helmut Fohringer/APA-PictureDesk via AFP)
par Eva Konzett, journaliste à Falter
publié le 30 mai 2024 à 7h08

Cet article fait partie du projet collaboratif Voices of Europe 2024, impliquant 27 médias de toute l’UE et coordonné par Voxeurop. D’ici au scrutin du 9 juin, nous publierons un article par pays de l’Union, pour prendre le pouls de la campagne des européennes sur tout le continent. Retrouvez tous les épisodes de cette série ici.

L’Autriche a une relation ingrate avec l’Union européenne. C’est un membre nanti de l’UE qui a énormément profité économiquement de l’élargissement à l’est de l’Union et qui, en tant que nation exportatrice, a besoin du marché unique, mais dont les habitants sont plus sceptiques vis-à-vis de l’UE que leurs collègues des pays voisins. Seulement 42 % des Autrichiens voient l’UE comme une bonne chose, 22 % comme une mauvaise chose, selon un sondage Eurobaromètre de décembre 2023.

Cela signifie que les partis négligent habituellement les élections européennes. Le 9 juin est certes inscrit dans leurs calendriers, mais le fait que des villes comme Innsbruck et Salzbourg ont eu à élire un nouveau maire ce printemps a davantage intéressé le pays. D’autant que presque tous les partis commencent la campagne électorale européenne avec de gros problèmes.

Les conservateurs en berne

Il y a d’une part le Parti populaire autrichien (ÖVP, droite), qui était arrivé en tête en 2019, et avait pu envoyer sept élus au Parlement européen. Mais à l’époque, ce n’est pas tant une envie d’Europe qui avait poussé les électeurs aux urnes qu’un scandale très autrichien. La publication de la «vidéo d’Ibiza», dans laquelle on pouvait entendre le futur vice-chancelier du Parti de la liberté autrichien (FPÖ, extrême droite), Heinz-Christian Strache, mettre en vente l’Autriche en échange de dons à son parti, avait fait éclater la coalition du jeune et ambitieux chancelier Sebastian Kurz à Vienne. Les électeurs ont alors voté pour l’ÖVP, lors des élections européennes qui ont eu lieu seulement quelques jours après, par solidarité.

L’ÖVP ne pourra pas répéter ce score très élevé en 2024 : Sebastian Kurz n’est plus là. Et rien ne semble pouvoir booster sa campagne. Il s’agit maintenant pour ce parti de limiter les dégâts, car les législatives se tiendront à l’automne, et le parti redoute d’y aller avec une défaite dans ses bagages. L’ÖVP a par ailleurs pris ses distances par rapport à Othmar Karas, le vice-président du Parlement européen : l’homme est désormais considéré comme trop pro-UE au sein du parti.

Les écolos trébuchent

Les Verts, le partenaire mineur de l’ÖVP dans le gouvernement actuel, avaient également imaginé une campagne électorale différente. D’un parti plutôt eurosceptique, ils se sont transformés en trois décennies en europhiles inconditionnels. Lors des élections européennes, ils profitent traditionnellement du fait que les électeurs des partis eurosceptiques restent plutôt chez eux. Malgré le fait que l’UE est très importante pour le parti, personne n’était candidat pour être tête de liste – la très populaire ministre de la Protection du climat, Leonore Gewessler, a refusé d’y aller.

Les Verts ont donc sorti au dernier moment de leur chapeau une jeune activiste de 23 ans : Lena Schilling. Inexpérimentée en politique, la jeune femme s’était fait connaître en bloquant le chantier de construction d’une voie rapide à Vienne. Les critiques avaient douté dès le début qu’elle puisse apprendre le métier de politicien à la hâte. La voici rattrapée par son passé : la jeune femme aurait fait courir des rumeurs de harcèlement à son encontre, aujourd’hui mises en doute, dans les cercles politiques viennois. Mais son parti fait bloc derrière elle : ils ne peuvent pas faire autrement. Il est trop tard pour présenter une nouvelle tête de liste.

Le FPÖ en tête dans les sondages

Les Européens les plus enthousiastes d’Autriche, les Neos – qui réclament les Etats-Unis d’Europe –, envoient quant à eux un journaliste chevronné dans la course à leur unique siège au Parlement européen. Ils espèrent en avoir un deuxième, mais ils ont essuyé un échec lors des législatives de cette année. Claudia Gamon, qui représentait jusqu’à présent les Neos en Europe, revient au pays pour s’investir dans sa région natale du Vorarlberg.

Les sociaux-démocrates (SPÖ) peuvent s’appuyer sur deux personnalités d’envergure sur les questions européennes. Avec Evelyn Regner, ils comptent dans leurs rangs une des politiciennes européennes les plus engagées depuis longtemps ; et la tête de liste Andreas Schieder – autrefois candidat malheureux à la mairie de Vienne et promu à Strasbourg – est un défenseur émérite de la cause européenne. Et bien que le nouveau chef du SPÖ, Andreas Babler, a dans le passé adopté un ton sceptique vis-à-vis de l’UE, le parti est à présent uni autour des slogans «Construire une Europe équitable» et «Ensemble pour la paix et la liberté».

Pas d’ambiguïtés au FPÖ, le parti d’extrême droite, pour qui l’UE est synonyme de «paternalisme», d’«éco-communisme» et d’une «nouvelle immigration de masse», dirigée par la «centraliste» Ursula von der Leyen, à la tête d’un «parti unique». Le FPÖ se targue d’être la seule force d’opposition en Europe avec ses homologues idéologiques, comme les Allemands de l’AfD. Le scandale autour du chef de file de ces derniers, Maximilian Krah, et ses liens présumés avec la Russie et la Chine, éclabousse le FPÖ, car celui-ci a travaillé en étroite collaboration avec l’AfD à Bruxelles et à Strasbourg et a toujours accueilli chaleureusement les dirigeants du parti allemand à Vienne. Mais les électeurs ne se préoccupent pas de cette affaire d’espionnage présumé. C’est du moins ce qu’indiquent les derniers sondages : l’eurosceptique FPÖ est en tête avec 26 % des intentions de vote, loin devant les autres partis.