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Libération
Décryptage

Elections législatives allemandes : pourquoi Olaf Scholz ne sera pas regretté à Bruxelles

Durant trois ans, le social-démocrate a été un «boulet» pour l’Europe, dixit les experts. A Bruxelles, on attend Friedrich Merz notamment pour bâtir une Europe de la défense que la défection américaine rend nécessaire.
Olaf Scholz, à Paris le 17 février. (Behrouz Mehri/AFP)
par Jean Quatremer, Correspondant européen
publié le 20 février 2025 à 20h06

C’est peu dire qu’à Bruxelles, on attend avec impatience le départ d’Olaf Scholz. Car en trois ans de pouvoir, personne ne conteste que le social-démocrate hambourgeois se soit révélé comme l’un des plus faibles chanceliers que l’Allemagne moderne ait connus, incapable d’apporter des réponses aux défis qui menacent l’existence de l’Europe et qui auraient nécessité audace de la pensée et rapidité de la décision. Chacun espère désormais que son probable successeur, le chrétien-démocrate Friedrich Merz, remettra sur pied le couple franco-allemand, tombé en déshérence depuis l’accession au pouvoir de Scholz en 2021, et qu’il sera surtout capable de faire les choix intérieurs et européens qui s’imposent face au désordre international imposé par Donald Trump.

Succession inédite de chocs internationaux

«Scholz a été un boulet pour l’Union, un poids mort sans vision claire de ce qu’il voulait pour son pays et l’Europe, ce qui a ralenti la prise de décision, même si, in fine, il n’a pas bloqué grand-chose», souligne Sylvain Kahn, professeur au centre d’histoire de Sciences-Po et auteur de l’Europe face à l’Ukraine (PUF, 2024). Empêtré dans une coalition tripartite impossible avec les écologistes et les libéraux du FDP, une première dans l’histoire politique allemande, Scholz n’a pas su imaginer un modèle économique alternatif à la fin de la triple dépendance bâtie par son prédécesseur social-démocrate Gerhard Schröder (1998-2005) qui a assuré durant un quart de siècle la prospérité allemande et son leadership : dépendance aux Etats-Unis pour sa défense et ses investissements, à la Russie pour son énergie bon marché, à la Chine pour ses exportations. Un modèle qui a volé en éclat en deux ans, la crise du Covid révélant l’agressivité de la Chine et la guerre en Ukraine les ambitions impériales de la Russie. La réélection de Donald Trump a achevé les derniers espoirs encore entretenus outre-Rhin de voir les Américains continuer à assurer leur sécurité.

La France, qui n’a jamais été convaincue par le modèle mercantiliste et pacifiste que l’Allemagne a réussi à imposer à toute l’Union, espérait que Berlin tirerait les leçons de cette succession inédite de chocs internationaux et soutiendrait Emmanuel Macron dans sa volonté, exposée dans son discours de la Sorbonne de 2017, de construire une Europe de la défense, une politique industrielle soutenue par des investissements publics massifs ou encore de mettre en place une préférence communautaire pour les marchés publics. Paris en a été pour ses frais. Certes, l’Union a changé de cap (renforcement des instruments de défense commerciale, taxe carbone aux frontières, proposition en discussion sur la création d’une base industrielle de défense, politique énergétique européenne, etc.), mais pas radicalement et surtout beaucoup trop lentement, en grande partie à cause de la résistance d’un chancelier allemand qui n’est pas parvenu à adopter un nouveau logiciel, ce qui a d’ailleurs entraîné son pays dans une récession prolongée…

Scholz se méfie se la France

«Outre le problème de personnalité, Emmanuel Macron et Olaf Scholz ne s’entendant pas, les deux rives du Rhin étaient en désaccord sur tout, des projets franco-allemands et européens d’armement au lancement d’un emprunt européen destiné à financer les dépenses militaires en passant par la réforme du Pacte de stabilité», regrette Nicole Gnesotto, vice-présidente de l’Institut Jacques-Delors et autrice de Choisir l’avenir, dix réponses sur le monde qui vient (CNRS, 2024). Pour dire les choses plus crument, Scholz se méfie de la France, comme l’ont montré ses tentatives de tuer son industrie nucléaire afin de ne pas lui donner un avantage compétitif… «Si on imaginait un scénario contre-factuel avec le social-démocrate Martin Schulz ou les écologistes Robert Habeck ou Annalena Baerbock comme chanceliers, on imagine sans peine l’effet que cela aurait eu sur la dynamique européenne», soupire Sylvain Kahn.

Le chrétien-démocrate Friedrich Merz va-t-il mieux faire que le social-démocrate Olaf Scholz ? Tout dépend bien sûr du résultat des élections et de la coalition qui verra le jour (à deux ou à trois partis ?). Mais l’espoir d’un changement ontologique est bien là, personne n’ayant oublié qu’Angela Merkel était devenue une Européenne convaincue en s’opposant à la sortie de la Grèce de l’euro en 2015 puis en acceptant de lancer, en 2020, un emprunt européen de 750 milliards d’euros proposé par Emmanuel Macron pour sortir de la crise du Covid, un pas de géant pour l’Allemagne. «Le contexte international impose la reformation du couple franco-allemand ainsi que la constitution d’un Quinté” européen avec l’Italie, la Pologne et l’Espagne, estime Nicole Gnesotto, d’autant que l’Allemagne sait qu’elle ne peut pas se réarmer hors du cadre européen.» Merz a fait savoir qu’il n’était pas opposé par principe à un nouvel emprunt pour financer le réarmement de l’Union, tout comme il s’est dit favorable à la livraison des missiles Taurus dont l’Ukraine a désespérément besoin, deux sujets dont Scholz ne voulait pas entendre parler.

Mais au-delà, Merz devra mener une véritable révolution intellectuelle pour relancer son pays et l’Union, car «la CDU, depuis 1949, est autant attachée à la construction européenne qu’à la relation transatlantique au nom de la défense des valeurs libérales, démocratiques et humanistes, explique Sylvain Kahn. Avec Trump, qui en opposition frontale avec toutes les valeurs de la démocratie chrétienne, Merz doit s’affranchir de cette tradition atlantiste au profit de l’Europe». En sera-t-il capable ?