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En Allemagne, l’échange de prisonniers avec la Russie salué par un relatif consensus politique

Pour Berlin, le transfert de 26 personnes, jeudi 1er août, entre la Russie et des pays occidentaux a relevé d’un choix difficile, mais «justifié», et globalement accepté dans le pays.
Conférence de presse du chancelier allemand, Olaf Scholz, jeudi 1er août au soir à l'aéroport de Cologne, pour le retour des prisonniers allemands libérés. (Christoph Reichwein/AFP)
publié le 2 août 2024 à 16h30

La libération des otages américains, allemands mais aussi russes justifiait-elle de rendre à Moscou Vadim Krasikov, le «tueur du Tiergarten» ? Ce choix pourrait-il être politiquement préjudiciable au chancelier Olaf Scholz, qui s’est rendu jeudi 1er août au soir à l’aéroport de Cologne pour y accueillir les ex-détenus allemands ? Au lendemain de cette libération, ces questions sont évidemment discutées en Allemagne, où règne un sentiment de joie raisonnée mâtiné de malaise.

Ce dernier est d’autant plus palpable qu’a été confirmé ce que la justice allemande avait tranché en 2021 : «Krasikov est un membre du FSB», a expliqué hier le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov. Membre d’une unité d’élite des services secrets russes, celui-ci avait été condamné fin 2021 à la prison à vie en Allemagne pour avoir abattu en août 2019 un Géorgien d’origine tchétchène dans le jardin du Tiergarten à Berlin.

La ministre des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, a qualifié l’échange de prisonniers de «dilemme hautement sensible» pour le gouvernement fédéral, «qui n’a pas pris cette décision à la légère». Dans un communiqué publié jeudi, le gouvernement fédéral cite l’obligation de protection envers les citoyens allemands et la solidarité avec les Etats-Unis comme «motivations importantes». Mais l’expert du parti conservateur CDU pour les questions de sécurité, Roderich Kiesewetter, n’a pas manqué de mettre en garde contre une libération qui pourrait créer un précédent. Celle-ci pourrait être exploitée massivement par la Russie, a-t-il déclaré au quotidien berlinois Tagesspiegel. Amnesty International a exprimé des craintes similaires. «Un meurtrier et d’autres criminels condamnés dans le cadre d’un procès équitable sont désormais libérés en échange de personnes qui n’ont fait qu’exercer leur droit à la liberté d’expression», a regretté Christian Mihr, secrétaire général adjoint de l’ONG en Allemagne.

«Grave entorse à nos principes»

L’aspect polémique de la discussion entre gouvernement et opposition a en tout cas été largement désamorcé par le porte-parole de la CDU, Norbert Röttgen. Celui-ci a estimé que l’échange est avant tout un succès pour les personnes libérées : «Nous avons dû accepter une grave entorse à nos principes. Mais elle est justifiée par le gain humain, la liberté et la libération de la torture pour 16 personnes.» Il n’y a pas eu de réaction notoire du parti d’extrême droite AfD, plus occupé à pilonner la politique migratoire et énergétique avant les élections régionales du 1er septembre.

L’écrivain allemand Ingo Petz, spécialiste du Belarus, a pour sa part estimé que «le fait qu’aucun prisonnier politique bélarusse n’ait apparemment été pris en compte dans l’échange de prisonniers n’est pas un bon signal pour l’opposition bélarusse, et tous ceux qui souffrent de la répression monstrueuse au Belarus». Enfin, pour Ann-Dorit Boy, du magazine Der Spiegel, «le fait que ce marché ait été conclu après de longues et difficiles négociations – de manière significative au niveau des services secrets et non au niveau politique – ne laisse aucun espoir de rapprochement. Il souligne le caractère criminel du régime de Poutine, qui agit par le chantage, le meurtre et la guerre.» Et ne donne aucune indication sur la possibilité d’ouvrir un jour des négociations de paix pour régler le conflit.