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Analyse

En Allemagne, conservateurs et sociaux-démocrates accouchent d’un accord de gouvernement

Elections en Allemagnedossier
Baisses d’impôts, investissements, durcissement de la politique migratoire… Le futur chancelier obtient un accord de gouvernement avec les sociaux-démocrates, mais souffre d’un immense problème de crédibilité face une extrême droite plus forte que jamais.
Au siège de la CDU à Berlin, le 9 avril 2025. (Tobias Schwarz/AFP)
par Christophe Bourdoiseau, correspondant à Berlin
publié le 9 avril 2025 à 12h32
(mis à jour le 9 avril 2025 à 19h50)

Plus d’un mois après les élections anticipées et en pleine crise internationale, Friedrich Merz est sorti de son silence. Enfermé nuit et jour dans les salles de négociations, le futur chancelier ne donnait plus signe de vie en public. «Nous lançons un signal fort à nos partenaires européens : l’Allemagne va avoir un gouvernement !» a-t-il déclaré ce mercredi 9 avril à Berlin en présentant son programme de coalition à l’issue de quatre semaines de négociations avec les sociaux-démocrates du SPD, ses futurs alliés. Et Trump ? Que va faire l’Allemagne, dépendante de ses exportations ? «Germany is back», résume-t-il en réclamant une réponse européenne aux droits de douane américains.

Friedrich Merz, qui sera élu le 7 mai par l’assemblée fédérale (Bundestag), a annoncé des investissements massifs et des réformes pour «moderniser l’Allemagne». Baisse des impôts sur les sociétés, baisse du prix de l’électricité, durcissement de la politique migratoire… La série de mesures a pour ambition de «redresser l’Allemagne».

Le futur chancelier peut se féliciter d’avoir négocié assez rapidement ce contrat de coalition avec le SPD qu’il avait passablement secoué pendant la campagne, mais avant même le début de son mandat, il souffre déjà d’un énorme problème de crédibilité ; sa popularité s’est effondrée dans les sondages en quelques semaines. Coïncidence : le jour de la présentation de ce programme de gouvernement, l’extrême droite est passée pour la première fois de son histoire devant les conservateurs dans un sondage (25 % contre 24 %), alors que le parti de Merz avait gagné les élections du 23 février avec huit points d’avance.

Dans le dernier baromètre politique de la chaîne de télévision publique (ZDF), près des trois-quarts des sondés déclarent qu’il a «trompé les électeurs» (et 44 % parmi les électeurs conservateurs). Près de deux tiers des Allemands estiment que Merz n’est «pas à la hauteur» comme chancelier.

Promesses non-tenues

Lors de la présentation de son programme, Friedrich Merz a promis une «offensive sur les retours des déboutés de l’asile», un arrêt de «l’immigration illégale», un «durcissement du regroupement familial» ainsi que la «suppression de la naturalisation turbo» des immigrés bien intégrés, aujourd’hui possible à partir de trois ans.

Mais les électeurs de droite risquent d’être déçus. Ces mesures ne changent pas fondamentalement la politique migratoire du gouvernement précédent, qui avait déjà rétabli les contrôles, et Merz ne veut plus «fermer les frontières» comme il l’avait promis. «Nous procéderons à des refoulements en accord avec nos voisins européens», a-t-il expliqué. L’Allemagne reste un pays d’immigration : «Un pays ouvert sur le monde et qui le restera. Nous avons une responsabilité humanitaire. Le droit d’asile ne sera pas remis en cause», selon le «contrat de coalition».

Friedrich Merz a fait beaucoup trop de promesses non tenues, aussi sur les finances publiques. Il avait annoncé quelques jours seulement après sa victoire du 23 février, prétextant un contexte international «qui avait changé», qu’il renonçait à la légendaire discipline budgétaire allemande en supprimant le «frein à la dette» – un tabou pour les conservateurs – pour financer le réarmement du pays.

Concessions aux sociaux-démocrates

Il a fait voter dans l’urgence, par l’ancienne assemblée qui disposait d’une majorité nécessaire des deux tiers, un fonds spécial d’investissement de 500 milliards d’euros pour moderniser l’Allemagne. Le contrat de coalition ne dit pas comment cette somme sera investie concrètement, ni pour quelles infrastructures. «Nous devons jeter tous les télécopieurs à la déchetterie [pourtant encore utilisés dans toutes les administrations, ndlr]», a résumé Lars Klingbeil, président du Parti social-démocrate et vraisemblable futur ministre des Finances.

Enfin, Friedrich Merz a fait beaucoup de concessions au SPD pour obtenir cet accord. Avec sept ministères, la gauche (qui n’a rassemblé que 16 % des voix) sort gagnante de ces négociations en réussissant à défendre des acquis sociaux que la droite voulait supprimer. Le prochain gouvernement ne touchera pas aux retraites, ne baissera pas les impôts des plus riches et aura comme objectif d’augmenter le salaire minimum à 15 euros de l’heure. L’allocation minimum de subsistance (Bürgergeld), objet de tous les fantasmes de la droite pendant la campagne sur des étrangers soi-disant «profiteurs» (Ukrainiens notamment), changera de nom et souffrira seulement de quelques «ajustements».

Le grand virage devrait plutôt être économique avec une baisse importante des impôts sur les sociétés et des encouragements aux investissements. Les entreprises à forte consommation d’énergie pourront bénéficier d’un tarif avantageux sur l’électricité. Une mesure qui est très attendue pour rétablir la confiance dans les milieux économiques.

Une chose est sûre, Friedrich Merz est condamné à réussir s’il ne veut pas que l’extrême droite arrive en tête aux élections en 2029. L’AfD (Alternative für Deutschland) attend patiemment son heure au Bundestag où elle a doublé le nombre de ses députés devenant la deuxième force politique du pays et la première force d’opposition.

Mis à jour le 9 avril à 19 h 50, avec davantage d’éléments.