L’affaire met l’Allemagne sens dessus dessous. La crèche Anne-Frank de Tangerhütte, localité de 10 000 habitants de Saxe-Anhalt, au nord-est du pays, va peut-être être rebaptisée d’un nom beaucoup moins chargé d’histoire : «Weltentdecker» («Explorateurs du monde» en français). C’est le conseil d’administration de la structure qui a décidé, à la demande de parents, de retirer le nom de la jeune fille juive, tuée dans le camp de concentration nazi de Bergen-Belsen en 1945. Dans le contexte explosif de la guerre Hamas-Israël et celui de la montée de l’antisémitisme en Allemagne, l’initiative suscite la polémique.

Selon la directrice de l’établissement, Linda Schichor, interrogée par le journal Volksstimme qui a révélé l’affaire en fin de semaine, le processus de changement de nom est en cours depuis l’été. L’établissement aurait souhaité une appellation plus adaptée aux enfants. «Nous voulions quelque chose sans arrière-plan politique», explique Linda Schichor. Egalement interrogé par Volksstimme, le maire (sans étiquette) de Tangerhütte, Andreas Brohm, justifie ce changement de nom par un nouveau concept de l’établissement, qui se veut plus ouvert qu’auparavant. Et date même le lancement du processus au début de l’année. «Bien avant les événements actuels, la discussion a commencé début 2023 sur la possibilité de rendre visible à l’extérieur ce nouveau départ de l’établissement en donnant à l’institution un nom différent», dit-il. Ce lundi 6 novembre, l’élu précise que les discussions se poursuivent «sans qu’une décision soit prise pour le moment».

La crèche avait été baptisée dans les années 1970, dans ce qui était alors la RDA. Auprès de Volksstimme, Wolfgang Schneiss, l’interlocuteur officiel du Land de Saxe-Anhalt à la vie juive et à la lutte contre l’antisémitisme, dit «comprendre l’impulsion positive» de ce changement de nom, mais regrette «qu’un lieu qui rappelle Anne Frank soit perdu en conséquence».

«La douloureuse prudence qui sous-tend ces propos devrait nous alarmer», écrit la journaliste Sandra Kegel dans un billet publié par le Frankfurter Allgemeine Zeitung, estimant qu’elle «montre à quel point les représentants juifs de ce pays ne sont pas sereins face à la montée de l’antisémitisme». La journaliste du quotidien conservateur s’insurge contre le changement de nom de la crèche, estimant qu’il s’agit de «faire oublier la mémoire de la jeune fille juive en lui donnant un nom commun». Elle poursuit : «Si des écoles, des centres de formation, des rues et des crèches portent [le nom d’Anne Frank], c’est aussi pour perpétuer le souvenir pour les générations futures.» Pour elle, faire disparaître ce nom est un fait «éminemment politique», contrairement à ce qu’affirme la directrice de la crèche.

En 2021, l’école maternelle Anne-Frank à Elxleben (Thuringe, au centre de l’Allemagne), qui devait être rebaptisée «Elchzwerge» («Les Lutins») en référence à l’association de carnaval locale, avait renoncé à changer de nom devant le tollé que cela avait créé. Le maire de la ville s’était excusé. A Tangerhütte, le conseil municipal, qui doit valider le changement de nom, n’a pas encore fixé de date pour le vote.