Menu
Libération
Pièces d'histoire

En Angleterre, des lettres à des marins français oubliées pendant deux siècles refont surface

Des missives remontant au XVIIIe siècle et qui reposaient depuis dans les archives britanniques ont récemment été ouvertes, livrant des témoignages à la fois intimes et historiques. Ces trouvailles ont été publiées ce mardi 7 novembre.
L'une des lettres d'une mère à son fils marin sur le «Galatée», datée du 27 janvier 1758. (Renaud Morieux /The National Archives. AFP)
publié le 7 novembre 2023 à 13h49

Oubliez les caisses de rhum et autres trésors, on parle ici de mots doux adressés à des marins. Partie de Bordeaux pour le Québec, le Galatée, frégate française capturée dans l’Atlantique par les Britanniques durant la guerre de Sept Ans, livre enfin ses secrets. Saisis par la Royal Navy durant le conflit qui a duré de 1756 à 1763, d’abord considérés comme des documents d’intérêt militaire, ces 104 courriers avaient ensuite été transférés aux archives nationales britanniques.

Des écrits oubliés dans un carton pendant plus de deux siècles, jusqu’à ce qu’ils attirent il y a peu l’attention de Renaud Morieux, professeur d’histoire à l’université de Cambridge. «J’ai simplement demandé à consulter ce carton par curiosité», raconte le chercheur, dont les conclusions sont publiées ce mardi 7 novembre dans la revue Les Annales. Histoire, Sciences sociales. «J’ai réalisé que j’étais la première personne à lire ces messages très personnels», regroupés en trois piles et liés ensemble par des rubans. «Leurs destinataires n’ont pas eu cette chance et c’était très émouvant», raconte-t-il, ajoutant que ces lettres contiennent «des expériences humaines universelles».

Epouses, mères, fiancées en temps de guerre

Renaud Morieux a identifié chacun des 181 membres de la frégate Galatée, dont un quart avaient été destinataires de ces lettres, et a également mené des recherches généalogiques sur les marins et les auteurs des lettres. Ecrites en majorité par des femmes, ces missives témoignent notamment de l’expérience de ces épouses, mères, fiancées en temps de guerre, contraintes de tenir seules le foyer et de prendre des décisions en l’absence des hommes.

La guerre de Sept Ans, commencée en 1756, fait rage jusqu’à la victoire de l’alliance menée par le Royaume-Uni et la Prusse en 1763. Durant cette période, ce sont en tout 65 000 marins français qui ont été détenus par les Britanniques. Certains sont morts de maladie et de malnutrition, tandis que d’autres ont été finalement libérés. Durant cette période, les lettres étaient le seul moyen pour leurs familles d’essayer de les contacter.

«Je passerais fort bien la nuit à t’écrire»

Les missives adressées aux marins du Galatée ont suivi le bateau de port en port, jusqu’à sa capture, avant d’arriver aussi en Angleterre. «Je passerais fort bien la nuit à t’écrire […], ta fidèle femme pour la vie. Bonsoir mon cher ami. Il est minuit. Je pense qu’il est temps de me reposer», écrit par exemple en 1758 Marie Dubosc à son époux Louis Chambrelan, premier-lieutenant de la frégate. Louis n’a jamais reçu la lettre de son épouse, qui meurt l’année suivante, probablement avant qu’il ne soit libéré. Dans un autre courrier daté du 27 janvier 1758, Marguerite Lemoyne, la mère du matelot Nicolas Quesnel, originaire de Normandie, regrette de ne pas recevoir plus de nouvelles de son fils. «Je pense plus à toi, que toi à moi […] enfin, je te souhaite une heureuse année remplie des bénédictions du seigneur», lui dit-elle dans une lettre sans doute dictée à un tiers.

En lisant les textes en détail, de nombreuses fautes et incorrections apparaissent toutefois. «L’écriture est assez basique, souvent phonétique, l’orthographe erratique et le vocabulaire limité», commente Renaud Morieux auprès du HuffPost. «Ce sont des gens qui sont habitués à se faire lire des lettres oralement, à dicter des lettres… Ce n’est pas de l’illettrisme au sens strict», ajoute le chercheur, alors qu’une grande partie de la société française ne sait ni lire ni écrire à l’époque.

«Aujourd’hui, nous avons Zoom ou WhatsApp, observe l’auteur de l’étude. Au XVIIIe siècle, les gens n’avaient que les lettres, mais ce qu’ils écrivaient résonne aujourd’hui de manière très familière.»