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Magouilles

En Autriche, l’«esclave galérien» de l’ex-chancelier Kurz passe aux aveux

Calomniateur désaxé ou fidèle trahi par son idole ? L’ancien haut fonctionnaire Thomas Schmid, entièrement dévoué à Sebastian Kurz, chancelier entre 2017 et 2021, qu’il bombardait de textos, doit comparaître jeudi devant une commission d’enquête parlementaire, après avoir coopéré avec le Parquet anticorruption.
L'ancien chancelier Sebastian Kurz, à Vienne le 14 octobre 2022. (Herbert Pfarrhofer /APA-PictureDesk via AFP)
publié le 3 novembre 2022 à 8h15

«Je ne suis jamais allé aussi loin que là où nous allons maintenant.» Ou encore, adressé directement à l’intéressé : «Je l’aime, mon chancelier.» Une bonne partie de l’Autriche est aujourd’hui en mesure de réciter par cœur les SMS de Thomas Schmid, échangés via messagerie instantanée avec le chancelier d’alors, Sebastian Kurz, ainsi que plusieurs de ses proches. L’ancien haut fonctionnaire était pourtant un homme de l’ombre, avant que la révélation de ces messages vienne braquer le projecteur médiatique sur sa personnalité.

Jeudi, le juriste de 47 ans doit comparaître devant une commission d’enquête parlementaire du Nationalrat, la Chambre basse du pouvoir autrichien. Les députés cherchent en effet à débrouiller les fils d’un tissu d’affaires de corruption révélées dans le sillage du scandale dit d’Ibiza, qui conduisit à la chute du premier gouvernement Kurz en mai 2019. Au cœur du dossier : les messages de Thomas Schmid. Ils dominent la vie politique de la république alpine depuis plus d’un an et demi. Mais leur auteur, lui, brillait jusqu’à présent par son absence.

300 000 messages truffés d’émoticônes

Comment les textos de Thomas Schmid se sont-ils retrouvés dans les journaux ? En 2019, pour élucider le scandale d’Ibiza, le Parquet financier et anticorruption autrichien ordonne une série de perquisitions. A la fin de l’année, les enquêteurs se saisissent du téléphone du Tyrolien, ainsi que d’un disque dur, à la suite de quoi quelque 300 000 messages truffés d’émoticônes sont versés au dossier judiciaire. Les avocats des nombreuses parties impliquées dans l’affaire y ont dès lors accès, et n’hésitent pas à faire discrètement passer ces documents aux journalistes autrichiens.

Corruption, détournement d’argent, abus de pouvoir… Le public prend connaissance de l’ampleur des soupçons qui pèsent sur Thomas Schmid. Des chefs d’entreprise, patrons de presse et plusieurs femmes et hommes politiques se retrouvent impliqués, en tête desquels la jeune star du parti conservateur ÖVP, Sebastian Kurz. Celui-ci se retrouve, à son tour, visé par une enquête de la justice. Son second gouvernement tombe en octobre 2021. Depuis, la ligne de défense de l’ancien dirigeant autrichien consiste à minimiser ce qu’il savait des actions de Thomas Schmid, qui aurait agi de son propre chef.

Schmid, lui, garde le silence. Il fuit le scandale aux Pays-Bas et refuse de se rendre aux multiples convocations de la commission parlementaire. Mais, il y a deux semaines, coup de tonnerre. Une nouvelle pièce est versée au dossier : une déposition signée Thomas Schmid, longue de plus de 450 pages. On apprend que l’exilé est passé aux aveux l’été dernier, dans le plus grand secret – même son avocat de l’époque n’était pas au courant. En outre, l’intrigant repenti est maintenant prêt à répondre aux questions des parlementaires. Dans sa déposition, il reconnaît de nombreuses malversations, dont un détournement de fonds publics pour acheter une couverture médiatique favorable à Kurz, mais il refuse de porter seul le chapeau et livre de nouveaux éléments aux enquêteurs dans l’espoir de s’attirer la clémence des juges.

Dévotion complète

Tout l’enjeu pour la justice est d’évaluer la crédibilité de ces «aveux». Alors que les défenseurs de Kurz décrivent Schmid comme un menteur prêt à toute nouvelle malhonnêteté pour éviter la prison, certains considèrent son mea culpa comme l’expression de la capitulation d’un ego humilié par le déballage de ses SMS, puis lâché en plein vol par son ancienne idole.

Car, dans ses écrits tapés du bout des pouces, Thomas Schmid donne l’impression d’une complète dévotion à Sebastian Kurz. Dans une référence à la garde rapprochée des empereurs antiques, il affirme être «l’un des [ses] prétoriens» qui «résout [ses] problèmes» et se qualifie même d’«esclave galérien» au service du jeune conservateur. Diplômé en droit et sciences politiques, Schmid était, à partir de 2013, chef de cabinet puis secrétaire général au ministère des Finances.

Alors que Sebastian Kurz, devenu ministre des Affaires étrangères cette même année 2013, commençait à intriguer pour devenir chancelier, le dévoué secrétaire général aux Finances se serait avéré très utile. Il aurait non seulement détourné des fonds de son ministère, mais aussi distribué faveurs et postes en vue, allant jusqu’à intervenir auprès du fisc à la demande d’alliés du jeune politicien. En 2019, Schmid est finalement nommé à la tête d’une holding publique par le gouvernement, entre-temps dirigé par Kurz. Récompense pour ses loyaux services ? A ce poste, il perçoit un salaire très élevé jusqu’à sa démission, lorsque le scandale éclate en juin 2021.

Les derniers secrets de Thomas Schmid n’ont pas encore été révélés. Dans la version de sa déposition rendue publique, les enquêteurs ont barré de noir de larges pans, signe qu’ils suivent des pistes qui doivent encore rester confidentielles. L’Autriche peut s’attendre à de nouveaux rebondissements politiques dans les mois à venir. Ils pourraient secouer le Nationalrat dès ce jeudi.