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Libération
Bon pied bon œil

En Autriche, trois nonnes octogénaires en maison de retraite prennent la poudre d’escampette pour regagner leur couvent

Les religieuses autrichiennes de 81, 86 et 88 ans affirment avoir été placées de force dans la maison de retraite. Le récit de leur évasion, grâce à d’anciens étudiants et un gardien, met le pays en émoi.

Les sœurs Rita, Regina et Bernadette à Elsbethen, le 12 septembre 2025. (Angelika Warmuth/REUTERS)
Publié le 21/09/2025 à 16h39

Il y a de quoi faire un film ou une série, quoique peut-être un peu lent : les trois nonnes ont 81, 86 et 88 ans, et ont récemment orchestré, avec l’appui d’anciens élèves, leur évasion d’une maison de retraite. Les sœurs Rita, Regina et Bernadette ont tout fait pour retrouver leur couvent à Elsbethen, une ville dans l’ouest de l’Autriche, près de Salzburg, à une dizaine de minutes en voiture environ. Quitte à s’attirer les foudres des autorités ecclésiastiques. C’est «sous un ciel bleu et ensoleillé que nos prières ont été exaucées», il y a deux semaines, raconte sœur Bernadette. Une vingtaine de leurs anciens élèves et soutiens ont partagé une prière avec elles samedi 20 septembre.

L’histoire a fait le tour des médias locaux et étrangers. Les trois religieuses autrichiennes étaient les dernières à occuper le château de Goldenstein, grande bâtisse jaune de huit étages construite au Moyen-Age et située près de la frontière allemande. Il appartient à l’ordre des sœurs augustines depuis 1897, qui l’utilisait comme un couvent et une école. Les trois religieuses y ont été enseignantes. Mais les années ont passé : en 2022, elles étaient les dernières sœurs vivantes sur les lieux.

Comme le rapporte le journal autrichien Der Standard, l’ordre et l’école ont été transférés il y a trois ans. Un accord a été passé pour que les octogénaires aient un droit de résidence à vie, «tant que leur état de santé physique et mentale le permettait». Pourtant, quelques mois et hospitalisations plus tard, elles sont transférées dans la maison de retraite catholique de Kahlsperg.

Serrurier, plombier et électricien dépêchés sur place

«Nous n’aurions jamais imaginé que l’Eglise nous traiterait ainsi», regrette l’une d’elles auprès du média viennois. Alors que les responsables de l’Eglise affirment avoir organisé ce transfert en raison de leur état de santé déclinant, sans que leurs projets pour l’avenir du couvent ne soient très clairs, les trois octogénaires tiennent une version différente. Elles affirment qu’elles n’ont jamais «été consultées» et ont été décrites comme «souffrant de démence sévère» pour justifier leur placement. L’idée de regagner le lieu où elles ont vécu quasiment toute leur vie ne les a donc pas quittées.

Leur fuite a surtout été savamment orchestrée. Location de camion, caméra pour filmer les preuves, serrurier, plombier, électricien… rapporte La Croix, qui s’est entretenu avec l’organisateur, anonyme, de cette évasion. «La maison de retraite était sale, les toilettes n’étaient pas lavées pendant plusieurs jours, la nourriture immangeable et en très petite quantité, le personnel ne saluait même pas les sœurs le matin», pointe-t-il.

Une fois revenues au pied du château, «le serrurier était là pour ouvrir la porte, et nous avons pu monter dans nos cellules sans aucun problème» a relaté samedi sœur Bernadette, émue d’avoir retrouvé ces murs qu’elle connaît depuis 1948. Mais le couvent était bien changé. Pièces vides, plus d’eau ni d’électricité. «Un grand choc» pour les religieuses. Mais «en quatre heures, le couvent était de nouveau habitable», certifie l’organisateur auprès du quotidien français.

L’action a tout même provoqué la colère des responsables ecclésiastiques. Le supérieur des religieuses, le prévôt Markus Grasl de l’abbaye de Reichersberg, les a accusées de violer leur devoir d’obéissance et «de trahir les vœux qu’elles ont pris et réaffirmés à plusieurs reprises».

Cagnotte et compte Instagram

Les trois femmes espèrent quant à elles pouvoir se réconcilier avec l’Eglise, et rester dans le couvent «jusqu’à la fin de (leurs) vies». «Notre seule déception, c’est qu’ils aient rompu leur promesse de nous garantir une résidence à vie», ajoute encore sœur Bernadette.

Une collecte de fonds a été lancée avec une cagnotte en ligne. Leurs soutiens ont même créé un compte Instagram, @nonnen_goldenstein, qui relaie la vie quotidienne des octogénaires. Il compte plus de 18 000 abonnés. Et on peut dire qu’on est loin de l’image clichée de religieuses cantonnées à leurs prières : en scrollant les vidéos, on découvre par exemple sœur Rita, parée de sa robe noire de religieuse, faire son jogging au son du célèbre thème musical de Rocky. Une manière comme une autre, après tout, de prouver qu’elle est bel et bien en bonne forme.