L’indépendantisme catalan n’est pas en forme. Ce dimanche, jour de la Diada, fête annuelle de la Catalogne et baromètre du sentiment sécessionniste, il se trouve affaibli, divisé, en perte de vitesse. Cinq ans après l’organisation d’un référendum illégal au regard de la Constitution espagnole, qui avait débouché sur une intervention policière musclée et l’incarcération d’une dizaine de leaders séparatistes, les organisateurs veulent toutefois faire bonne figure. Promoteur principal de la marche de ce dimanche à Barcelone, l’Assemblée nationale de la Catalogne (ANC) bombe en effet le torse en intitulant ainsi la concentration : «Tornem-hi per vèncer, independència» (Revenons pour vaincre, indépendance). Un slogan qui sera mis en exergue sur d’immenses banderoles, au milieu d’une nuée d’esteladas, ces drapeaux sang et or accompagnés d’une étoile blanche symbolisant le divorce avec l’Espagne.
Récit
Mais si la marche faisait l’objet d’un consensus les années précédentes, elle génère aujourd’hui des dissensions. Le président de la Catalogne, Pere Aragonès, un indépendantiste pragmatique, a annoncé qu’il n’y participerait pas, au même titre qu’une bonne partie de son exécutif et des dirigeants de sa formation, Esquerra Republicana. Motif invoqué par l’intéressé : «Le discours des organisateurs est notoirement contre les partis et les institutions, et ce n’est pas la bonne attitude.» Dolors Feliu, chef de file de l’ANC, une organisation citoyenne, ne cache en effet pas son aversion pour les responsables politiques : «Le Parlement est majoritairement séparatiste, notre exécutif aussi. Mais au lieu de nous conduire à la création d’un Etat nouveau, ce dernier se borne à un dialogue stérile avec Madrid.»
Poursuite des négociations avec Madrid
La conjoncture n’est guère favorable à tous ceux qui souhaitent se séparer de l’Espagne. En juillet, le Centre d’études d’opinions, un organisme officiel du gouvernement régional catalan, indiquait que 52 % des quelque 7,5 millions de Catalans s’opposent à l’indépendance, et seuls 41 % y sont favorables. Cette statistique consacre le rejet le plus fort depuis 2015, tout spécialement chez les jeunes. Selon cette même enquête, 70 % des sondés estiment que la sécession ne doit pas être une priorité pour le gouvernement catalan. L’irruption du coronavirus a inversé les priorités. Jusqu’alors, une majorité appuyait la volonté émancipatrice des autorités – quitte à déclarer l’indépendance de manière unilatérale – et soutenait comme un seul homme les neuf leaders incarcérés pour «sédition», en manifestant parfois violemment dans les rues.
Interview
Avec la pandémie, le sentiment séparatiste s’est amenuisé peu à peu. Au pouvoir depuis l’an dernier, le nationaliste modéré Pere Aragonès axe sa politique sur la gestion des crises sanitaires, sociale et énergétique. Et s’il réclame toujours la tenue d’un référendum d’autodétermination, il estime nécessaire qu’une «majorité sociale claire» se dessine au préalable, et défend la poursuite des négociations avec le gouvernement de Pedro Sánchez, à Madrid, au minimum jusqu’à 2024. Autre priorité : faire en sorte que le catalan soit la langue ultra majoritaire dans les établissements scolaires et s’opposer à ce que 25 % des cours soient donnés en espagnol, comme le souhaite la justice.
Mouvement en lambeaux
Le camp séparatiste peine à admettre ses faiblesses, d’autant que pendant une décennie, il a largement dominé le spectre politique et social. En 2012, suite à une Diada marquée par une marche monstre, le président catalan Artur Mas affirme que la Catalogne, victime d’une «spoliation fiscale», va inéluctablement se séparer de l’Espagne. Au fil des ans, le sentiment indépendantiste s’impose un peu partout, et devient si puissant que les forces séparatistes défient l’Etat espagnol à l’automne 2017, tout d’abord en désobéissant aux lois nationales, puis en organisant un référendum rejeté par Madrid, enfin en se fendant d’une symbolique déclaration d’indépendance. Pour éviter d’aller en prison pour «sédition», le président catalan d’alors, Carles Puigdemont, se réfugie en Belgique. Il s’y trouve toujours.
Aujourd’hui, le mouvement est en lambeaux. Les autres leaders ont été libérés mais ne peuvent exercer de responsabilités publiques. Surtout, la rupture est consommée entre ceux qui veulent en découdre, le parti Junts de Carles Puigdemont et les anticapitalistes de la CUP, et les pragmatiques, qui souhaitent parvenir à une «solution politique» avec le pouvoir, quel que soit le temps que cela nécessitera. «Non seulement les diverses forces politiques de l’indépendantisme sont à couteaux tirés entre elles, estime l’analyste Miquel Noguer, mais il y a un divorce entre le noyau dur citoyen, autour de l’ANC, et les représentants politiques. La lutte pour l’indépendance est aussi devenue un combat contre l’establishment, avec ses accents démagogiques et populistes.»