Courtisans et courtisanes sont venus avec leur plus belles breloques. Il y a de quoi se lécher les babines, puisqu’en plus du homard bleu, du tourteau de casier et son voile d’amande fraîche sera proposé, et de la menthe-coq. Le plat contiendra de la volaille de Bresse au maïs, accompagnée d’un gratin de cèpes. Amazing ! Patrick Vieira, Stéphane Bern et quelques ministres défilent. Tout comme Charlotte Gainsbourg venue pour rendre hommage à sa mère après avoir inauguré la maison-musée de son père ce matin. Carole Bouquet et Gérard Larcher. Charles et Camilla, Emmanuel et Brigitte Macron, font leur entrée en même temps que le crépuscule. Le couple présidentiel invitant le couple royal à pénétrer dans le Château. Juste avant Mick Jagger, était apparu. Bondissant sur les pavés de la cour royale, il manquait de peu se prendre les pieds dans le tapis rouge.

Le gotha se bouscule à Versailles. Arrivée de Mick Jagger, Charlotte Gainsbourg en pleine forme après sa visite de lundi dans les locaux de Libération pour l’ouverture de la maison Gainsbourg, Hugh Grant, Didier Drogba et de Gérard Larcher.

Et sinon, le roi Charles III a planté un arbre (non pas celui qui venait de lui être offert) dans le jardin de la résidence de l’ambassade britannique à Paris, située à deux pas du Palais de l’Elysée. Toujours accompagné d’Emmanuel Macron, qui ne le quitte plus d’une semelle, le roi a foulé le gazon et balancé un peu de terre autour de l’arbre, pendant que le président français persistait à lui attraper le bras à chaque occasion.

Un arbre de Versailles contre un opus de Voltaire. C’est une coutume ancestrale, entre gens bien élevés, on se fait des cadeaux. Et, pour des visites d’Etat, encore plus. Le casse-tête est toujours de trouver le truc que le récipiendaire n’a pas, le cadeau qui a un sens, un symbolisme quelconque, évoque l’amitié folle qui lie les deux nations, tout ça tout ça. Le roi Charles III est donc arrivé à Paris avec une édition spéciale d’un ouvrage de Voltaire, «le philosophe et champion de la liberté de parole», souligne la BBC. «Lettres sur les Anglais» a été publié en 1733. De son côté, le président français a offert au roi… un arbre de Versailles, ce qui, il faut l’avouer, a un sens (même si on ne connaît pas encore de quelle essence il s’agit) et un médaillon doré, ce qui est toujours sympa à glisser dans sa poche. Le correspondant de la BBC note que ces présents sont bien moins bizarres que celui offert par le président Pompidou dans les années 70 : une glacière en forme de sauterelle géante ! On n’a pas vérifié, mais on croit la BBC sur parole.

L’avis de l’expert. Stéphane Bern, qui doit passer une des plus belles journées de sa vie, a confié à la BBC qu’il trouvait que l’accent français du roi était moins bon que celui de sa mère. Il a aussi révélé que si la France était le seul pays, en dehors des pays du Commonwealth bien sûr, qui avait l’affection d’Elizabeth II, le cœur de Charles III est partagé, lui, entre la France, l’Italie et la Grèce. On pense s’en remettre assez vite.

«Je connais ce monde-là !» À Versailles, les longues allées menant au château sont vides. Claire et Rob, un couple d’Anglais, passent par là. Les jardins sont fermés, alors ils se promènent. Et puis, paraît-il que Mick Jagger va apparaître, à un moment dans la soirée. Claire a les cheveux rasés, des tatouages délavés plein les bras. Rob est en short et sa voix éraillée rompt le silence. Il se moque. «C’est vous qui allez payer pour tout ça ?» Claire n’a jamais mangé de homard bleu, qui sera servi aux 150 convives, elle dit qu’elle préfère le rose avant de se raviser : «Je suis végan». Charles les laisse de marbre, les deux n’ont rien de royalistes. «Je connais ce monde-là», susurre Rob. Il mentionne les chasses qu’il organisait pour de riches lords. Il ne veut rien dire de plus. «Je pourrais soudainement mourir dans un accident de voiture !» Ce serait dommage, le couple vit une retraite tranquille en Irlande du Nord, à Belfast. Ils repartent d’un pas tranquille.

Ça, c’est de la table !

Une table mise au millimètre. Sous le faste de la voûte de la Galerie des Glaces, ornée de trente compositions peintes par Charles Le Brun, se jouent des enjeux de taille. Chaque ride sur les nappes qui couvrent l’immense table de réception doit être lissée. Les distances entre la porcelaine, l’argenterie et la cristallerie sont mesurées, vérifiées, réinspectées. Aucune étape de cette rigoureuse méthode scientifique ne doit être sautée, au risque d’enclencher un incident diplomatique.

Une erreur tactile. Il l’a fait ! Il a osé ! Il n’a pas résisté ! Emmanuel Macron a touché le roi. Franchement, pesamment, visiblement. La photo, publiée sur le live de la BBC (nettement moins rigolo que celui de Libé), au taquet depuis ce matin, ne ment pas. On y voit le président français et le roi Charles III, en haut des Champs-Elysées. Emmanuel Macron a attrapé le bras du roi, il le serre, presque tendrement certes, mais tout de même. S’il est une règle immuable, c’est qu’on NE TOUCHE PAS un membre de la famille royale, et encore moins le roi, à moins que ce dernier n’initie le geste. Or, aucun doute, Charles III n’a certainement pas dit au président français : «Come on Manu, squeeze my arm». En 2011, Michele Obama s’était fait redresser sèchement les bretelles par les experts en protocole et la presse tabloïd britannique notamment, parce qu’elle avait osé presque enlacer la reine Elizabeth II ! Par Sonia Delesalle-Stolper.

Sur le tapis rouge, battle Petit bateau vs Jacadi. On déconne bien sûr. Il est évident que les tenues de la reine Camilla et de Brigitte Macron ne proviennent pas de ces marques spécialisées dans les vêtements pour enfants. Mais jugez plutôt avec l’image. La souveraine britannique a opté pour un ensemble rose layette, couleur iconique des enfants très propres sur eux de Jacadi (dans les catalogues, le reste on ne veut pas savoir). De son côté, l’épouse du chef de l’Etat français arborait un tailleur jupe bleu foncé, avec boutons ancres de marine. Ne manquaient plus que les bottes en caoutchouc pour parfaire la tenue Petit bateau. Leurs époux rivalisent, eux, de classicisme chic : bleu marine cintré pour Macron, bleu plus clair avec fines rayures (on dit pinstripes dans le jargon officiel) pour Charles, dans le plus pur esprit de Savile Row, la rue des tailleurs classes de Londres.

Une «déambulation» très contrôlée. Après leur entrevue à l’Elysée, le roi Charles III et Emmanuel Macron ont décidé de se rendre à pied jusqu’à l’ambassade britannique à Paris. Encore heureux : elle n’est distante que de 150 mètres du palais présidentiel. Dans la très select - et aux accès très filtrés - rue du Faubourg Saint-Honoré, les deux hommes se sont allés à la rencontre de badauds aux bouches emplies de «Majesté» et «Vive le roi». On imagine qu’ils s’adressaient plutôt au Britannique plutôt qu’au Français, mais sait-on jamais… Reste que c’est moins l’impression de ferveur populaire que celle de village Potemkine qui se dégage de la séquence.

Versailles, le spot préféré de l’amitié franco-britannique. Le couple royal et le couple présidentiel dîneront ce soir au Château de Versailles, un palais qui a souvent reçu la couronne britannique. C’est en 1855 que Napoléon III y accueille la reine Victoria, première souveraine britannique à se rendre en France depuis la guerre de Cent ans en 1453. La prochaine tête couronnée à s’y rendre est celle de Georges VI, venu festoyer en honneur à l’amitié entre Paris et Londres en 1938. En 1957, c’est au tour de René Coty d’organiser un repas dans la Galerie des Glaces pour célébrer la première visite d’Etat de la Reine Elizabeth II en France. Sur les six visites officielles réalisées par la Reine, trois sont passées par Versailles.

Une discussion en tête à tête à l’Elysée. A l’arrivée au palais présidentiel, Emmanuel Macron se montre toujours aussi tactile avec les invités. Il pose fièrement aux côtés du couple royal avant de passer un moment «informel pour se rafraîchir» qui précède un entretien bilatéral sans conseiller et sans traducteur. Le roi va-t-il prendre une posture un peu plus politique que ce que veut la tradition ? On n’en saura rien, puisque l’entretien se fera aussi sans journaliste.

Réponse. B, bien sûr, parce que le roi parle aussi latin couramment (en plus du français et un peu d’allemand).

Devinette ! Le roi signe les documents officiels Charles R. alors que sa famille est celle des Windsor. Pourquoi ?

A : parce que son deuxième prénom est Randal.

B : pour Rex (roi en latin). Sa mère signait Elizabeth R (pour Regina, reine en latin).

C : parce qu’il peut, il est roi, quelquefois il signe Charles Z, ou Charles A, quand ça lui chante.

Une petite séance diapos ? Pour accueillir le roi, Emmanuel Macron s’est fait sobre, mesuré et surtout concis. Sur X (ex-Twitter), il s’est fendu d’une simple phrase de bienvenue, in english dans le texte : «You visited as a Prince, you return as a King. Your Majesty, welcome». On est très loin des discours à rallonge qu’affectionne notre président. Le tweet s’accompagne d’une vidéo d’1′18 qui, en gros, reprend une à une et en accéléré les images des 34 visites précédentes de celui qui n’était donc alors que prince (vous suivez ?). L’occasion de rappeler qu’à 74 ans, le roi n’est pas tout jeune. Ca commence d’ailleurs en noir et blanc, il y a du Chirac, du Mitterrand et du Sarkozy, ah et oui du Macron aussi bien sûr. Et puis surtout des coupes de cheveux (de Charles) très variées au fil des ans et un délicieux accent anglais lorsqu’il parle français, très prononcé dans sa jeunesse, de moins en moins au fil des ans. C’est d’ailleurs à lui que revient la phrase de la fin, in french donc : «L’espérance doit-elle disparaître ? Non». Voilà.

Charles III et Emmanuel Macron descendent les Champs-Elysées. Le roi Charles III et Emmanuel Macron ont entamé leur descente des Champs-Elysées à bord d’une Citroën DS7 décapotable. Au bord de l’avenue, il y a moins de monde que pour une arrivée du Tour de France mais une petite foule, tout de même, s’est pressée contre les barrières en haut de l’artère, pas pour se faire engueuler mais pour voir le défilé. La foule finit par s’étioler, les deux hommes regagnent l’habitacle, la procession se poursuit jusqu’à l’Elysée.

Grande séance de serrage de louches. Avant d’entamer leur descente des Champs-Elysées, Emmanuel Macron et Charles III ont sacrifié au rituel du serrage de mains. Les deux hommes ont salué d’abord les membres du gouvernement français, mais aussi de nombreux hommes galonnés et autres anciens combattants. La séance s’éternise, le souverain et le président de la République y prenant visiblement beaucoup de plaisir.

Les jets de la Patrouille de France et l’équipe de voltige de la Royal Air Force des Red Arrows survolent l’Arc de Triomphe pour marquer la visite royale.

Charles III a ravivé la flamme du Soldat inconnu. Charles, enfin ! Il a débarqué entouré d’une multitude de motards, dans un carrosse grenat et, surtout, dans un silence tombal, rompu par God save the king et la Marseillaise. Le monarque et Emmanuel Macron ont discutaillé en tournant autour de l’Arc. Ils ont surtout regardé intensément les soldats – qui n’aimerait pas être admiré ainsi, de ces yeux profonds et fiévreux ? Puis ils se sont dirigés vers la tombe du Soldat inconnu pour raviver la flamme, avant que ne retentissent les hymnes une autre fois, que la patrouille de France ne largue ses fumées dans le ciel. Une certaine idée de la grandeur. Par Romain Boulho.