Une rencontre au «ton positif» franc et «sans hyperboles»
«Il était important de se rencontrer en personne », a commenté le président américain. «J’ai fait ce que je suis venu faire », a-t-il martelé: parler franchement à Vladimir Poutine et lui dire les choses en face. «Le ton de la rencontre était positif et bon. Quand nous n’étions pas d’accord, nous l’avons signalé. Mais sans hyperboles». Très loin donc des provocations du chef du Kremlin en conférence de presse. Biden a dit avoir mis Poutine en garde contre toute interférence dans les élections américaines. Et lui avoir signalé que certaines infrastructures étaient «intouchables». Pour le président américain, son homologue russe «ne cherche pas une Guerre froide» avec les Etats-Unis.
Le « whataboutisme» (évidemment) au rendez-vous
La tactique est simple - répondre à une critique par une contre-accusation ou un contre-exemple, même lorsque le lien semble ténu voire inexistant - et Vladimir Poutine la maîtrise à la perfection, surtout s’agissant des Etats-Unis. Le président russe ne s’est donc pas privé d’en faire usage, lorsqu’un journaliste de CNN l’a interrogé sur les violations des droits humains et l’emprisonnement des opposants politiques. Quid des insurgés du Capitole, a rétorqué Poutine, semblant exprimer pour eux une certaine sympathie. «Des gens sont venus au Congrès américain avec des demandes politiques. On les qualifie de terroristes domestiques », a déclaré le chef du Kremlin. S’exprimant quelques minutes plus tard, Joe Biden a dénoncé des «comparaisons ridicules».
Conférence de presse fleuve Pendant presqu’une heure, Vladimir Poutine a répondu aux questions des journalistes internationaux et russes, provenant de médias amis aussi bien que notoirement critiques du Kremlin. Le président russe semblait tant savourer le moment qu’il n’a pas voulu l’écourter. Contrairement à son habitude et à ce qu’on aurait pu attendre d’une telle allocution, Poutine a été plutôt sobre dans ses expressions. Des points d’entente ont peut être été trouvés, mais il semble que les fameuses lignes rouges dont les deux chefs d’Etat avaient parlé avant ce sommet n’ont pas bougé. Interrogé plusieurs fois frontalement sur l’ingérence en Ukraine ou encore la persécution d’opposants politiques, Poutine a détourné le sujet en retournant l’accusation contre les Etats-Unis qui ont décidé, en 2015, de «soutenir un coup d’Etat sanguinaire». Quant à Alexei Navalny, dont Poutine a une fois de plus refusé de prononcer le nom, il aurait quitté «en connaissance de cause le territoire russe au mépris de la loi» et serait «rentré en Russie de son plein gré spécialement pour se faire arrêter». De toute façon, lui et tous ceux qui «se considèrent comme des défenseurs des droits de l’homme», sont surtout des «agents de l’étranger», puisqu’ils sont financés par les Etats-Unis, a-t-il affirmé.
Un terrain d’accord. Biden et Poutine ont répondu à l’appel. Peu avant le sommet, des personnalités des deux nationalités les avaient exhortés à réaffirmer, comme Gorbatchev et Reagan en leur temps, qu’«une guerre nucléaire ne peut pas être gagnée et ne doit jamais être menée». Les deux présidents l’ont fait. Dans un communiqué commun, ils affirment qu’il «ne peut y avoir de vainqueur dans une guerre nucléaire et qu’elle ne doit jamais être déclenchée». Les deux chefs d’Etat s’engagent à «lancer bientôt un dialogue bilatéral complet sur la stabilité stratégique, qui sera substantiel et énergique». «A travers ce dialogue, nous poserons les bases des futures mesures de maîtrise des armements et de limitation des risques», ajoutent-ils. Dernier accord issu de la guerre froide, le traité New Start a été prolongé in extremis en février, juste après l’investiture de Joe Biden. Il est l’un des rares textes à avoir survécu à la présidence Trump.
«Aucune animosité». Premier à tenir sa conférence de presse, et donc à livrer sa version des faits, Vladimir Poutine a salué une rencontre «constructive» avec son homologue américain. «Il n’y avait aucune animosité», a assuré le président russe, ajoutant qu’en dépit de nombreuses divergences, Moscou et Washington avaient «démontré un désir de se comprendre l’un l’autre et de chercher les moyens de rapprocher les positions.»
Accord sur un retour des ambassadeurs. C’était l’une des modestes avancées espérées de ce sommet de Genève. Vladimir Poutine et Joe Biden se sont entendus pour un retour de leurs ambassadeurs respectifs, a annoncé le président russe dès le début de sa conférence de presse. Le représentant russe à Washington avait été rappelé mi-mars à Moscou, officiellement pour «consultations », après la diffusion d’une interview dans laquelle Joe Biden avait dit estimé que son homologue russe était un «tueur». Le représentant américain avait été rappelé à Washington mi-avril.
Le sommet est terminé. Après un peu plus d’une heure de discussions, la rencontre bilatérale élargie a pris fin à 17h05, marquant la fin du sommet entre Joe Biden et Vladimir Poutine, a confirmé la Maison Blanche. Deux sessions bilatérales étaient prévues initialement, une seule s’est finalement tenue. Aucune explication n’a été donnée à ce stade sur ce changement de programme. A 17h29, le président américain a quitté la villa La Grange à bord de sa limousine présidentielle. Chaque chef d’Etat doit désormais s’adresser aux médias lors de conférences de presse séparées.
Trevor Noah s’en mêle. Faute de déclaration ou de conférence de presse commune, chacun interprète comme il peut le «body language» des deux présidents. A l’image du présentateur du Daily Show diffusé au Etats-Unis sur Comedy Central, qui s’amuse sur Twitter : «Quand aucun des pères au mariage n’aime le DJ». Ou des journalistes de RIA Novosty, l’agence d’Etat russe, également sur Twitter : «Poutine sera assis à droite lors des pourparlers. En langage protocolaire cela signifie, tout comme le fait d’être arrivé à la villa avant Biden, que le patron du sommet, c’est la Russie». Evidemment.
When neither of the fathers at the wedding like the DJ pic.twitter.com/ipIATrGV5l
— The Daily Show (@TheDailyShow) June 16, 2021
Pendant ce temps-là, à Bruxelles… Au moment même où Joe Biden et Vladimir Poutine se rencontrent à Genève, le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell, présentait son rapport sur une nouvelle approche des relations entre l’UE et la Russie, aujourd’hui «à leur plus bas niveau». Souvent divisés sur l’attitude à adopter vis-à-vis de Moscou, les 27 doivent s’unir pour être en mesure de «riposter, contraindre et dialoguer» avec les autorités russes. «Ces trois verbes représentent les lignes directrices de notre action», a ajouté Borrell, exhortant les Etats membres à «ne pas laisser la Russie nous diviser». Premier test de cette capacité à se rassembler derrière cette «nouvelle approche» : la rencontre Russie /UE des 24 et 25 juin. Un sommet peut en cacher un autre.
Fin de la première bilatérale, les conseillers rejoignent les discussions. Le sommet se poursuit à la Villa La Grange. Après une première session d’une heure et demie en comité restreint - les deux chefs d’Etat accompagnés de leurs ministres des Affaires étrangères respectifs - et une pause d’environ 45 minutes, la deuxième volet, en réunion élargie, a débuté à 16 heures. Se joignent notamment aux discussions, coté américain, le conseiller à la sécurité nationale, Jake Sullivan, la sous-secrétaire d’Etat pour les Affaires politiques, Victoria Nuland, l’ambassadeur des Etats-Unis à Moscou, John Sullivan et le responsable de la Russie au sein du Conseil de sécurité nationale, Eric Green. Côté russe, on retrouve le conseiller du président Iouri Ouchakov, le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov, l’ambassadeur à Washington, Anatoly Antonov, le chef de l’Etat-major, Valery Guérasimov, et le vice-ministre des Affaires étrangères Sergeï Ryabkov.
Первые кадры с расширенных переговоров Президентов России и США Владимира Путина и Джозефа Байдена
— МИД России 🇷🇺 (@MID_RF) June 16, 2021
📸 @rian_ru pic.twitter.com/y5nwV4Uu3s
Grosse bousculade entre journalistes. On ignore quelle est l’atmosphère des discussions entre Joe Biden et Vladimir Poutine, entamées vers 14 heures. Mais à l’ouverture de la rencontre, de vives tensions ont gagné les rangs de la presse accréditée, qui forme le «pool». Cette expression anglaise, passée dans le vocabulaire politique français, désigne une pratique fréquente entourant les chefs d’Etat et sommets diplomatiques. Pour réduire le nombre de reporters présents et éviter la cohue, un «pool» est mis en place, constitué d’un ou deux représentants par type de média (presse écrite, radio, télévision, photographes, etc.), chargés de transmettre à leurs confrères les éléments récoltés. Lorsque Joe Biden, Vladimir Poutine et leurs chefs de la diplomatie ont pénétré dans la bibliothèque accueillant leur rencontre, les journalistes et photographes des deux «pool» officiels (russe et américain) devaient en principe être présents pendant quelques minutes. Le temps d’immortaliser la scène et recueillir quelques phrases, souvent consensuelles. Mais faute de place - et visiblement d’organisation -, tous n’ont pas pu entrer. Quatre des 13 membres désignés du pool de la Maison Blanche sont restés dehors. Tandis qu’à l’intérieur, «la bagarre entre médias a été la plus chaotique que j’ai vu en neuf ans d’événements présidentiels», raconte dans son compte rendu Anita Kumar, du média en ligne Politico. «La sécurité russe a crié aux journalistes de sortir et a commencé à les pousser. Des journalistes et des responsables de la Maison Blanche ont crié à la sécurité russe d’arrêter de nous toucher», ajoute Kumar, qui dit avoir été bousculée à plusieurs reprises. La scène a été observée, dans un silence un peu gêné, par les deux présidents, situés à quelques mètres de la bousculade. «Ils semblaient amusés par la scène», assure la correspondante de Politico.
Chaotic scene at Biden-Putin summit. Per pooler Anita Kumar: "Journalists and White House officials screamed back that the Russian security should stop touching us. Your pooler was pushed multiple times, nearly to the ground, as many poolers tripped over the red rope ..."
— Peter Nicholas (@PeterAtlantic) June 16, 2021
Le sommet a commencé. Le président suisse a accueilli ses invités à l’entrée de la Villa La Grange, leur souhaitant la bienvenue à Genève, «ville de paix», et leur souhaitant de «fructueux dialogues dans l’intérêt de vos deux pays et du monde». Après s’être rapidement serré la main, en souriant, Joe Biden et Vladimir Poutine ont pris place dans la somptueuse bibliothèque où vont se tenir les discussions. Ils ont échangé quelques phrases convenues - «Il est toujours mieux de se rencontrer en tête-à-tête», a dit Biden, «merci de votre initiative (...), j’espère que notre rencontre sera productive», a déclaré Poutine -, puis ont gardé plusieurs minutes un silence gêné, dans les clics des photographes et le brouhaha des journalistes, qui ont joué des coudes pour pénétrer dans la pièce, et que la sécurité a visiblement eu du mal à faire sortir. La première session du sommet, en présence des deux chefs de la diplomatie, Antony Blinken et Sergeï Lavrov a débuté.
Biden arrive à son tour. Escorté par les motards de la police suisse, le convoi de Joe Biden est arrivé au parc La Grange à 13h16. Les deux limousines présidentielles, encadrées par une quarantaine de véhicules transportant membres de la délégation officielle, agents du «secret service» et journalistes, arboraient à l’avant des drapeaux suisse et américain.
@JoeBiden and “the Beast” sont dans la place #GenevaSummit2021 pic.twitter.com/JG4hiAIXR7
— Frédéric Autran (@fredericautran) June 16, 2021
Vladimir Poutine, premier arrivé à la Villa La Grange #GenevaSummit2021 pic.twitter.com/BIAmffDp3w
— Veronika Dorman (@veronidor) June 16, 2021
Atterrissage de la délégation russe. L’avion de Vladimir Poutine s’est posé à l’aéroport de Genève à 12h27, avec une ponctualité inhabituelle. Dix minutes plus tard le président russe est descendu sur le tarmac, pour prendre place dans le cortège qui doit le conduire à la Villa Lagrange. Il n’avait pas souhaité de cérémonie d’accueil particulière à l’aéroport.
🇺🇸Biden - 🇷🇺Putin's planes at @GenevaAirport :#genevasummit2021 is starting!#AF1 #AirForceOne #Ilyushin #IL96 pic.twitter.com/Tqr6wgVQH1
— CAGI: Centre d'Accueil de la Genève Internationale (@CagiGeneva) June 16, 2021
Le sommet vu par Chappatte. Dans une caricature publiée ce mercredi dans le quotidien le Temps, le dessinateur suisse Patrick Chappatte a croqué le sommet entre Vladimir Poutine et Joe Biden, qui rêve d’une relation «stable et prévisible» avec Moscou pour pouvoir se concentrer sur sa rivalité avec le géant chinois.
Biden meets Putin #bidenputin - © Chappatte in Le Temps, Switzerland > https://t.co/XHQHgRLuvk pic.twitter.com/9pmDEzCieu
— Chappatte Cartoons (@PatChappatte) June 15, 2021
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Une chorégraphie minutée. Vladimir Poutine ayant la réputation d’être toujours en retard, l’organisation a été pensée pour qu’il ne fasse pas attendre son homologue américain, arrivé, lui, mardi. Le président russe devrait atterrir vers 12h30 et arriver sur les bords du lac Léman aux alentours de 13h, quelques minutes avant Joe Biden. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a souligné mercredi matin l’importance de restaurer des relations bilatérales fonctionnelles. A l’antenne de la chaîne russe Pervy Kanal, il a, comme à son habitude, reproché aux Américains d’être responsables de l’interruption du dialogue entre les deux pays. Le temps, a-t-il dit, est venu de «faire le tri dans les décombres» des relations bilatérales. Un tête-à-tête entre les deux présidents, qui n’est pas inscrit au programme, n’est pas à exclure. «Les chefs d’Etats sont des chefs d’Etat. S’ils décident qu’il est indispensable de parler entre quatre yeux, ils le feront. Personne ne limite leur temps de discussion», a ajouté Peskov.
Le menu de Joe Biden. La Maison Blanche a communiqué dans la nuit l’agenda du président américain. Après avoir reçu vers 9h30 le «Daily Brief» quotidien, contenant les informations classifiées de sécurité nationale, Joe Biden est attendu peu après 13 heures à la villa La Grange, située au cœur du parc homonyme, le plus grand de Genève, sur la rive sud du lac Léman. Il y saluera le président de la Confédération helvétique, Guy Parmelin, avec lequel il s’est entretenu mardi soir. A cette occasion, Biden a remercié son homologue «pour le rôle historique unique de la Suisse, qui offre un terrain neutre pour la diplomatie et les négociations». Suivront ensuite quatre à cinq heures d’entretiens, d’abord en format réduit, les deux présidents étant seulement accompagnés de leurs chefs de la diplomatie, Tony Blinken et Sergueï Lavrov, puis avec une délégation élargie. Biden et Poutine tiendront ensuite, chacun de leur côté, une conférence de presse. Pour le président démocrate, qui décollera dans la foulée pour Washington, elle marquera l’épilogue d’une semaine diplomatique chargée en Europe.
Genève en état de siège. Transports publics à l’arrêt, travailleurs invités à rester chez eux, barbelés et clôtures érigés depuis une semaine tout autour du parc La Grange : le sommet Biden-Poutine trouble la tranquillité de Genève, pourtant rompue aux ballets diplomatiques. 4 000 policiers, militaires et autres personnels de sécurité ont été mobilisés. La quasi-totalité des policiers de la ville sont sur le pont, 900 agents venus du reste du pays ont été envoyés en renfort. Chargée de protéger le ciel, l’armée suisse a déployé canons antiaériens, stations radars et hélicoptères sur les bords du lac Léman.
La Villa La Grange, posée dans un vaste parc au bord du lac Léman en plein cœur de Genève, accueille le sommet entre le président américain Joe Biden et son homologue russe Vladimir Poutine #AFP #AFPTV @EloiRouyer pic.twitter.com/esTxC7X05v
— Agence France-Presse (@afpfr) June 16, 2021