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En résumé :
- A cinq semaines du scrutin du 9 juin, Libération organise à Paris I Panthéon-Sorbonne deux journées de débats autour des grands enjeux des élections européennes. Jeudi soir, les principales têtes de liste se sont succédé au micro.
- Ce vendredi 3 mai, des invités prestigieux défilent dans le grand amphithéâtre : les eurodéputés Aurore Lalucq et David Cormand, le sénateur Yannick Jadot, le député Benjamin Haddad, les chercheurs Michaël Zemmour et Asma Mhalla ou encore Marylise Léon, la secrétaire générale de la CFDT.
- Au cours d’un propos de près d’une heure, la Première ministre de l’Estonie, Kaja Kallas, a insisté sur la nécessité de «faire perdre la Russie» en Ukraine via une mobilisation européenne.
Et voilà, c’est fini. Merci d’avoir suivi cette journée riche en débats en notre compagnie !
Faut-il inventer une alternative à l’adhésion pure et simple ? «Oui, il faudrait, lâche Paul Magnette. Le problème, c’est qu’on n’a toujours pas trouvé la formule.» Et ce n’est pas faute d’avoir essayé «à peu près tout», insiste le bourgmestre de Charleroi, qui cite entre autres la politique de voisinage. Mais année après année, le constat reste le même : «Les pays à la frontière de l’Europe ne veulent qu’une chose : entrer dans le club», et pas seulement à moitié. Une façon pour eux, poursuit le président du PS belge, de profiter de la portée symbolique de l’Union européenne. «C’est vécu comme un label de qualité, de bonne conduite. Et donc toutes les formules alternatives sont difficiles à mettre en œuvre.» Résultat, conclut Paul Magnette : «Penser une autre forme d’intégration ne peut être présenté que comme un plan ».
Matière à réfléchir.
Elargir oui, mais pas n’importe comment. Paul Magnette pose deux conditions à l’ouverture de l’UE. «Il faut renforcer les politiques sociales», les «critères de droits humains» et la «protection de l’Etat de droit» et faire de l’Europe une «vraie union budgétaire avec des taxes sur les fortunes, les multinationales et une taxe carbone aux frontières». Et savoir dire vraiment non quand il le faut. Evoquant l’adhésion de la Turquie, candidate depuis 1987, le bourgmestre de Charleroi le dit : « Je pense qu’un jour, il faudrait avoir l’honnêteté intellectuelle de dire à la Turquie qu’elle ne rentrera pas dans l’Union européenne (…) ça devient presque ridicule.»
Pour Paul Magnette, l’élargissement est «le meilleur outil de politique étrangère» de l’UE. La question de l’élargissement est «vraiment la question existentielle pour l’Union européenne», répond à son tour Paul Magnette, qui se réjouit que le thème soit enfin abordé. Pour lui, «ce n’est pas une question technique. C’est une question politique.» Et de développer : «Je comprends pas qu’on se dise de gauche et qu’on dise non à l’élargissement. C’est le meilleur outil de politique étrangère qu’on ait car il donne un pouvoir énorme sur l’économie et l’état des droits humains d’un pays candidat.» Pour le bourgmestre de Charleroi, il ne faut absolument pas renoncer à l’élargissement au risque de «perdre ce pouvoir».
Dans l’œil de Terreur Graphique.
Pour Clément Beaune, «appuyer sur le frein n’a pas fonctionné» en matière d’intégration. «Rien de pire que l’élargissement non assumé», commence Clément Beaune prenant pour exemple les Balkans qui attendent depuis une vingtaine d’années leur intégration dans l’UE ou encore la Turquie «qui ne devrait pas entrer» dans l’union pour l’ancien ministre. «Il vaut mieux dire “Vous ne rentrerez pas”, poursuit le porte-parole Renaissance. On risque de créer une immense déception dans les Balkans. » Le porte-parole de la campagne Renaissance pour les européennes déplore la position historique de la France : «appuyer sur le frein mais ça n’a pas fonctionné». Faut-il remercier Jacques Chirac et son fameux «ils ont manqué une occasion de se taire» adressé aux pays de l’Est ? Clément Beaune acquiesce et concède : « on en paye les conséquences aujourd’hui. Quand on va voir un dirigeant croate ou bulgare, je peux vous assurez qu’ils se souviennent de notre réticence.»
Elargissement : stop ou encore ? Neuf Etats sont officiellement candidats à l’adhésion à l’Union européenne : l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Géorgie, la Macédoine du Nord, la Moldavie, le Monténégro, la Serbie, l’Ukraine et la Turquie. Des demandes qui se font de plus en plus pressantes depuis le 24 février 2022 et le début de la guerre en Ukraine. La guerre menée par la Russie est-elle un argument pour faciliter et accélérer l’entrée de pays européens de l’Est dans l’Union ? L’UE est-elle apte institutionnellement à intégrer de nouveaux pays ? L’élargissement amplifiera-t-il la dynamique d’une union à plusieurs vitesses ? C’est le sujet de notre dernier débat de la journée.
Débat. Avec Clément Beaune, porte-parole Renaissance et ancien ministre et Paul Magnette, bourgmestre de Charleroi (Belgique), président du PS belge, ancien ministre. Rencontre animée par Anne-Sophie Lechevallier, journaliste à Libération et Ségolène Barbou des Places, juriste, professeure à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne et directrice du GIS euro-lab.
Et si on regardait du côté de la Scandinavie ? «Le rapport au travail a énormément évolué», souligne Marylise Leon, évoquant sans surprise la pandémie. Avant de quitter discrètement l’amphithéâtre, la secrétaire nationale de la CFDT a livré sa vision du futur : «L’avenir, c’est un travail plus démocratique», insiste-t-elle, pointant du doigt l’importance de donner à chacun un moyen «d’avoir un mot à dire sur son travail, et de pouvoir davantage participer aux décisions». Pour cela, la syndicaliste appelle à voir au-delà du système français. Et à s’inspirer d’autres pays de l’Union européenne, à l’image de la Suède et du Danemark. Pour Michaël Zemmour, assis à ses côtés, difficile de parler du futur du travail sans évoquer l’urgence écologique. «Probablement que les défis de la transition écologique demandent un débat sur un changement de régime», conclut le maître de conférences en économie.
Un plan d’action pour enfin faire naître une Europe sociale ? Interrogé sur la portée du plan d’action pour un socle européen des droits sociaux, adopté en avril dernier, Mohamed Bensaada note «l’ambition de certaines mesures» mais reste prudent. «En politique, je crois à l’obligation, non à l’incitation. Si on veut mettre en place une véritable politique sociale et harmoniser les pays européens. Il faut obliger, insiste-t-il. Sinon j’ai peur que cela soit un simple vœu pieu.» Sous sa casquette de syndicaliste, Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT, est plus optimiste. Elle voit dans ce plan un «super levier à activer pour faire valoir les droits des travailleurs» en France.
Tribune
L’Union Européenne n’est sociale qu’en temps de crise ? Mohamed Bensaada, répond sèchement. «Même en temps de crise, elle n’est pas très protectrice.» A titre d’exemple, le candidat LFI aux élections européennes raconte «les grands moments de flottement» qu’il a connu lorsqu’il travaillait à l’hôpital pendant le Covid. «Il y a eu une impréparation qui nous a mis dans un grand désarroi.» Alors quand aucune crise ne pointe son nez, le candidat dresse un portrait morose de l’aide sociale européenne. «On est face à de grands défis sociaux, d’inégalité mais rien n’est fait.» Pour autant, «deux tiers des facteurs dégradants la santé de la population sont déterminés par leurs conditions de travail, leur nourriture», embraye Eric Chenut, président de la Mutualité Française. Alors, on a tout intérêt à faire de la prévention, au niveau européen.
Où est passée l’Europe sociale ? 57 % des ouvriers et 44 % des employés voteraient pour le Rassemblement national, d’après un sondage Ipsos réalisé en amont des élections européennes. Le sondage est clair : les classes populaires votent majoritairement pour l’extrême droite. Cette dynamique est-elle le mot d’une Europe dont le social a été oublié sur l’hôtel du libéralisme ? L’Europe peut-elle être unie et solidaire sur les enjeux de travail ? Comment remettre une priorité sur la santé, première préoccupation des Français ? Voilà le menu de notre avant-dernier débat, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne.
Débat. Avec Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT, Michaël Zemmour, économiste, Mohamed Bensaada, candidat LFI aux élections européennes, Eric Chenut, président de la Mutualité Française. Rencontre animée par Maud Benakcha, journaliste à Libération et Sophie Robin-Olivier, professeure à l’école de droit de la Sorbonne, Paris I Panthéon-Sorbonne. Avec la participation de Catherine André, cofondatrice et directrice éditoriale du site multilingue Voxeurop et présidente de l’association des journalistes européens.
Le Green Deal en danger ? «La problématique des questions environnementales, c’est que les gens y sont plutôt favorables, mais qu’ils n’en font pas leur enjeu fondamental». Quelques minutes avant de laisser la place au prochain débat, Théodore Tallent tente de répondre à une question de taille : le pacte vert est-il vraiment en danger ? «Je reste relativement optimiste, poursuit le chercheur doctorant. Je ne pense pas qu’il va y avoir un retour en arrière complet sur le Green Deal.» Justement, insiste l’enseignant en science politique à Sciences-Po, «il est important de ne pas surestimer le mécontentement». Et surtout, de ne pas détricoter «tout notre programme environnemental» par peur de ce mécontentement. «Je pense qu’il faut rester ferme», conclut finalement Théodore Tallent. Ce sera la phrase de fin.
L’œil de Terreur Graphique et de Coco.
«Prix planchers» pour les agriculteurs. Juste avant de s’éclipser pour retourner à l’Assemblée Nationale, où elle dit «mouiller la chemise» pour amender le projet de loi agriculture, Aurélie Trouvé à rappelé la nécessité de défendre aux frontières de l’hexagone une «production nationale relocalisée» assurant à ses paysans «des prix planchers». «La France a décidé stratégiquement de sacrifier ses paysans dans les années 1960», cingle David Cormand. Et de critiquer «l’happening qu’est le salon de l’agriculture». Pour l’élu vert, «tout le monde fait semblant» au Parc des expositions. «La gauche, la droite et même les Français qui font semblant de savoir ce qu’est l’agriculture.», grince-t-il. Pour avoir une agriculture écologique et durable, Aurélie Trouvé et David Cormand s’accordent sur un point : mettre le plus de valeur possible sur les paysans.
Pacte vert ou pacte brun ? «L’enjeu du 9 juin, c’est de savoir si oui ou non on passe du pacte vert au pacte brun», résume l’écologiste David Cormand. «Brun» en référence aux énergies fossiles, mais aussi à l’extrême droite «qu’on doit combattre», poursuit l’eurodéputé. L’enjeu, selon lui, est de taille, alors que le «Green Deal» a été l’acte majeur de «ce mandat 2019-2024». Mais si l’écologiste tient à vanter le pacte - et notamment son aspect «sobriété», il l’admet : il existe aussi «un certain nombre d’ambiguïtés». Et surtout, «il manque un pied fondamental : c’est la thune».
En coulisses. «Je vous ai vu à la télé !», lance la secrétaire générale de la CFDT, Marylise Léon, à l’économiste Michaël Zemmour. «Moi aussi», lui répond la star de la réforme des retraites 2023, qui avait méthodiquement démonté les arguments gouvernementaux de plateau en plateau. Les deux ne s’étaient donc jamais rencontrés avant cette table ronde consacrée à l’Europe sociale. Michaël Zemmour ne cache pas être arrivé de mauvaise humeur, la faute à la quantité de policiers croisés non loin de la Sorbonne, symptomatique de l’ambiance répressive du moment. Un peu plus tôt Marylise Léon confiait s’inquiéter de la vague de harcèlement raciste subie par la journaliste d’Arrêt sur images Nassira El Moaddem : «C’est fou.»
Comment financer la conversion écologique ? Si l’élue LFI Aurélie Trouvé appelle à désobéir aux règles européennes, David Cormand lui oppose un seul concept : «le fédéralisme européen». Seule arme contre l’évasion fiscale «des puissants» qui «freine la transition écologique» ou seul atout pour faire concurrence aux GAFAM, le fédéralisme est l’unique porte de sortie que le «peuple européen regagne sa souveraineté» et pour «changer le rapport de force avec le capitalisme». «Le modèle de l’État-nation comme quintessence de la souveraineté est mort», assène l’eurodéputé EELV. L’élu poursuit en disant que ces «mêmes Etats-Nation freinent les avancées écologiques» en prenant pour exemple la France «championne d’Europe sur la désobéissance des règles écologiques européenne.» «L’UE est une démocratie inachevée, souffle David Cormand. Mais heureusement que ses règles sont là. C’est pourquoi je suis un fédéraliste invétéré.» «Un doux optimisme», commente Aurélie Trouvé.
«En Europe, il est impossible de poursuivre la conversion climatique». Après avoir apporté, au détour d’une phrase, son soutien au mouvement étudiant «pour la paix», la députée LFI Aurélie Trouvé n’a pas manqué de tacler le manque d’investissements européens pour l’écologie. «Les plans climats sont très en dessous pour atteindre les objectifs prévus pour 2030, cingle la députée. Pour les tenir, il faut sortir des énergies fossiles. Pourtant depuis deux ans, on rouvre tranquillement des centrales à charbons il y a 2 ans.» Continuant sa critique du modèle européen, Aurélie Trouvé s’attaque au manque de moyens financiers que l’Union alloue à l’écologie et pointe spécifiquement la «règle des 3 % de dette». «Pourtant, pendant le covid, on a fait pété cette règle en 10 jours», rappelle avec un petit sourire David Cormand, eurodéputé écologiste. «L’Europe freine l’investissement écologique, conclut Aurélie Trouvé. Et aujourd’hui elle prévoit une diminution de 1 milliard d’euros sur le poste écologie du budget ?» Pour finir sa critique de la politique écologique européenne, Aurélie Trouvé s’en prend à l’ennemi numéro 1 de son parti : «les politiques de libéralisation» qui «laminent les industries photovoltaïques et l’agriculture.»
«J’ai une bonne nouvelle. C’est qu’en cinq ans, l’Europe a mis un coup d’accélérateur sur la transition écologique». C’est en félicitant le travail de l’Europe que Neil Makaroff, directeur du think tank Strategic perspectives et expert associé à la Fondation Jean Jaurès, a introduit la conférence «Face à l’urgence climatique, l’Europe est-elle à la hauteur ?». Il a loué le Pacte vert et a rappelé qu’il s’agit de la «plus grande série de mesures au niveau européen» sur le plan écologique en citant notamment ses victoires : fin de la vente des véhicules thermiques neufs en 2035, taxe carbone aux frontières, principe pollueur-payeur dans certains secteurs comme l’aviation… Il a appelé désormais à «poursuivre sur cette lancée», insistant sur l’importance de ces élections européennes pour contrer «la vague anti-climat qui dénonce le Pacte vert et demande son abandon». «Il faut prendre la menace de la montée de l’extrême droite au sérieux», ajoute-t-il. «L’Europe pourrait être déclassée si on n’accélère pas cette transition écologique», mettant en évidence sa concurrence avec les États-Unis et la Chine.