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Libération
Sans honte

En Espagne, la droite joue au «pyromane politique» après les incendies dévastateurs de l’été

Alors qu’il dirige les régions qui ont sabré les moyens des pompiers et qui ont le plus tardé à réagir, le Parti populaire, allié à l’extrême droite, rejette la responsabilité de la mauvaise gestion des feux estivaux records sur le gouvernement de gauche.
Alberto Núñez Feijóo, chef du Parti populaire, au Parlement espagnol à Madrid, le 9 juillet 2025. (Javier Soriano/AFP)
publié aujourd'hui à 14h22

Et pourquoi ne pas mettre en place un registre national de pyromanes, afin de mieux les identifier ? Pourquoi pas, aussi, installer des bracelets électroniques sur ces mêmes individus – un peu à la façon des conjoints violents condamnés pour agression sexuelle – et ainsi exercer sur eux une vigilance constante ? Parmi la cinquantaine de mesures de lutte contre les incendies de forêt détaillées par le chef de l’opposition de droite Alberto Núñez Feijóo, ces deux-là ont rapidement été épinglées et allègrement moquées. Après que l’Espagne a été ravagée comme jamais par des feux ayant calciné en août quelque 350 000 hectares – un record –, le leader du Parti populaire (PP) joue l’homme providentiel, au-dessus de la mêlée, n’hésitant pas à accuser son rival, le Premier ministre socialiste Pedro Sánchez, d’être «le seul responsable de la déplorable gestion» de cette crise.

Pas un mot, en revanche, à l’égard des barons de la droite à la tête des régions les plus affectées par les incendies. Ceux-là même – présidents de Galice, de Castille-et-León ou d’Estrémadure – qui ont estimé au début des feux qu’ils n’avaient en aucun cas besoin de l’aide de l’Etat pour y faire face. Car en Espagne la protection des forêts et la lutte contre les flammes relèvent de la compétence des régions, sauf si celles-ci estiment que la catastrophe est suffisamment grave pour nécessiter le recours du pouvoir central. La volte-face est arrivée à la mi-août : alors que les incendies étaient incontrôlables, ces mêmes dirigeants ont appelé le gouvernement socialiste à l’aide, réclamé une longue liste de moyens humains et matériels, tout en lui reprochant sa passivité.

Des pompiers les bras croisés

Cette duplicité a été mise en lumière mardi 26 août à la Chambre basse du Parlement où toutes les formations politiques ont critiqué l’attitude des deux partis de droite (le Parti populaire et les extrémistes de Vox). «Vous ne cessez de jeter de l’huile sur le feu du débat alors qu’il faut s’unir», a tancé la députée et secrétaire générale de Podemos, Ione Belarra. «Vous maquillez votre incompétence et votre inaction au niveau régional par des attaques contre l’exécutif central», accuse Verónica Martínez, porte-parole de Sumar, l’allié à gauche des socialistes. Les nationalistes basques s’en prennent aux droites en les taxant d’une «forme de pyromanie politique», qui consiste à «exiger des choses impossibles au gouvernement central afin de ne pas avoir à rendre de comptes sur sa propre gestion».

Or, au niveau local, alors que la plupart des grands incendies sont sous contrôle ou en passe de l’être, la controverse bat toujours son plein. Selon le média El Diario, les effectifs de pompiers et les services de prévention des incendies ont été réduits ces dernières années en Castille-et-León, en Andalousie, ou encore à Valence – à chaque fois par des exécutifs de droite. Le même journal indique que par manque de véhicules, des brigades de pompiers en Castille-et-León ont dû rester les bras croisés pendant que les flammes dévoraient la chaîne de montagnes de la sierra de la Culebra. En Galice, région dévastée, notamment dans autour d’Orense (70 000 hectares brûlés en quinze jours, avec des feux toujours en activité), des manifestations se sont succédé dans 26 villes ou bourgades pour protester contre «le manque de préparation et de réaction» des autorités régionales.

«Narratif simpliste»

Le Parti populaire, au pouvoir dans 12 des 17 régions et sur 70 % du territoire de ce pays très fédéral, est pris entre le marteau et l’enclume. Le chef de file Alberto Núñez Feijóo a refusé le «pacte national» de Pedro Sánchez, proposant de faire face à la conjonction du dérèglement climatique («des feux plus longs, plus intenses, plus secs») et de l’abandon des sierras forestières. La droite, alliée au parti d’extrême droite et climatosceptique Vox, insiste davantage sur la responsabilité humaine des incendies. A en croire le PP, 80 % des feux sont intentionnels. Le ministère de l’Intérieur rétorque que ce chiffre est «erroné». En 2023, la garde civile a dénombré 225 feux de forêt criminels sur 2 944 incendies, soit 7,6 % du total. Cet été, la plupart des grands incendies comme ceux de Jarilla (Estrémadure), ou de Porto de Sanabria (Castille-et-León) ont été provoqués par des éclairs issus d’orages secs.

Selon un avis très partagé, la stratégie de la droite espagnole rappelle celle qui prévalait lors des récentes catastrophes – comme celles du Covid, de la «Dana» (la «goutte froide» qui a dévasté la région de Valence en octobre 2024) et de l’«apagón» (la coupure de courant générale du 28 avril dernier). «A chaque fois, l’opposition de droite réclame l’intervention de l’armée dans le but d’éluder ses responsabilités régionales», estime le professeur de droit Antonio Madrid. Le politologue Isaac Hernández abonde : «Le Parti populaire gagne les batailles du narratif avec le schéma simpliste voulant que le gouvernement soit faible et veule. En transmettant cette image de chaos et d’absence de coordination, il court le risque d’alimenter le discours d’extrême droite sur la faillite de l’Etat central et l’inutilité des régions.»