Dans l’est de l’Estonie, une route traverse pendant plusieurs kilomètres le territoire russe. On peut l’emprunter sans passer par la douane, à condition de rouler sans s’arrêter et de ne pas cueillir de champignons. Plus au nord, il y a aussi un vieux pont d’acier qui enjambe le fleuve Narva et relie les villes d’Ivangorod, en Russie, et Narva, côté estonien. En temps normal, on y croise des retraitées qui tirent des vieux chariots chargés de provisions achetées dans les magasins russes, où les prix sont moins élevés, et des camions de transport qui acheminent leurs marchandises vers Saint-Pétersbourg, à 150 kilomètres de là. Bientôt deux mois après le début de la guerre en Ukraine, les babouchkas sont toujours là, les camions aussi ; ils côtoient maintenant des réfugiés ukrainiens qui tirent leurs valises jusqu’à la gare routière délabrée, mais aussi des Russes qui viennent passer leur week-end en Estonie.
Interview
Depuis que le petit pays balte a obtenu son indépendance en 1991, Narva est la destination favorite des journalistes occidentaux, parce que cette enclave russophone et russophile dans l’Union européenne résume à elle seule l’ensemble des tensions qui traversent le pays. Construite par l’URSS pour y loger les travailleurs soviétiques après la Seconde Guerre mondiale, Narva est une ville postindustrielle avec des barres d’immeubles à moitié désaffectées qui offrent aujourd’hui le portrait d’une époque révolue. Parmi les vestiges de l’occupation, on trouve, pêle-mêle, des ens