«Je n’ai fait que mon travail de journaliste et uniquement demandé l’horaire d’arrivée d’un vol dont on ne connaissait pas l’heure exacte d’atterrissage en raison de la guerre [israélo-palestinienne, ndlr].» Tels sont les mots que le journaliste franco-canadien Romain Chauvet, 27 ans, a prononcé à la fin de sa comparution devant le tribunal d’Athènes, ce jeudi 26 octobre. Il n’a pas convaincu la Cour qui lui inflige une peine de six mois de prison avec un sursis probatoire d’une durée de trois ans pour «diffusion de fausses informations» selon l’article 191 du Code pénal grec. En Grèce c’est une première dans l’histoire des médias qu’une telle sentence s’abatte sur un correspondant étranger… et un terrible signal envoyé à l’ensemble des journalistes.
Un flash-back s’impose pour comprendre le fond l’affaire. Le 12 octobre, ce pigiste – c’est-à-dire un journaliste payé à la tâche – se rend à l’aéroport Eleftherios Venizelos afin de réaliser un reportage pour des médias dont il est correspondant, dont Radio Canada. En effet, après les attaques terroristes du Hamas, le Ministère des affaires étrangères canadiens a affrété un avion spécial pour ses ressortissants en Israël. Il doit atterrir à Athènes avant que les passagers soient rapatriés par ligne régulière. Le jeune journaliste espère recueillir des déclarations des Canadiens. Il demande donc aux autorités compétentes une autorisation de tournage qu’il obtient, comme Libération a pu s’en assurer.
À l’aéroport, il constate que le vol n’est pas indiqué sur les panneaux signalétiques. Il demande donc des précisions à une guichetière. Elle ne les a pas. Il attend alors dans l’aéroport, au niveau des arrivées, lorsque des policiers viennent l’arrêter. Il apprend alors qu’il est accusé d’avoir lancé une fausse alerte à la bombe concernant cet avion et est placé en garde à vue pendant 24 heures. Il nie évidemment cette accusation, lors de sa garde à vue comme à la barre. Elle campe sur sa position : il aurait parlé d’une «bombe à bord de l’avion», ce qui l’aurait poussée à prévenir la police.
Pour RSF, «un dangereux précédent de l’application de la loi contre les fausses informations»
«Comment aurait-elle pu ne pas comprendre alors qu’elle est Grecque née aux Etats-Unis et a vécu longtemps là-bas ?» interroge une conseillère juridique venue soutenir, officieusement, la guichetière. «Elle est assermentée auprès de l’aéroport. La Justice a compris qu’elle avait bien agi. La décision du tribunal est juste», poursuit cette conseillère qui, bien qu’elle n’ait pas été citée par la Cour, était assise sur le banc des avocats et échangeait des SMS pendant l’audience avec la guichetière. Quant à la stratégie de l’avocat de la défense, consistant à instiller le doute, elle n’a pas fonctionné.
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Reste des interrogations. Pourquoi un journaliste aurait-il propagé une telle fake news alors qu’il venait en reportage ? Pourquoi serait-il resté à l’aéroport ? Pourquoi ne pas avoir entendu ses négations constantes de la version de la guichetière ? Pourquoi cette version a-t-elle fuité dans la presse moins d’une heure après son arrestation ? En réalité, l’affaire s’est jouée parole contre parole… Mais aussi Grecque contre étranger, agent de l’aéroport contre journaliste, dans un contexte de dégradation de la situation des médias en Grèce depuis 2019. D’ailleurs, en 2023, Athènes occupe la 107e place sur 180 pays (soit la dernière des pays de l’Union Européenne) dans le classement de Reporter Sans Frontière (RSF) sur la liberté de la presse dans le monde. Comme l’explique Pavol Szalai, responsable du bureau UE Balkans de cette ONG, «RSF est choqué de la condamnation du journaliste […] Dans ce dossier sans preuves solides, le doute aurait dû profiter à l’accusé. Bien que le verdict ne vise pas une publication journalistique, il représente potentiellement un dangereux précédent de l’application de la loi contre les fausses informations.»