Trop, c’est trop. Frontex plie bagages et quitte la Hongrie. C’est la première fois que l’agence de surveillance des frontières extérieures de l’Union européenne suspend ses opérations dans un Etat membre. «Nos efforts communs […] ne peuvent réussir que si nous veillons à ce que notre coopération et nos activités soient pleinement conformes aux lois de l’UE», a justifié son porte-parole, Chris Borowski.
Le 17 décembre, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a condamné le gouvernement du Premier ministre souverainiste, Viktor Orbán, pour violation du droit européen. Depuis 2016, la Hongrie a mis en place tout un arsenal législatif qui empêche les réfugiés d’avoir accès au territoire et de demander l’asile. Le pays «a manqué à son obligation d’assurer un accès effectif à la procédure d’octroi de la protection internationale», estime la CJUE, qui condamne aussi la pratique des push back, ces refoulements illégaux de migrants que les forces de l’ordre magyares expulsent, souvent brutalement, vers la Serbie voisine.
La décision de la Cour implique que la Hongrie cesse ces expulsions illégales. Or 4 903 personnes ont été refoulées depuis le jugement du 17 décembre, que le gouvernement semble peu enclin à respecter. «Nous continuerons à protéger les frontières de la Hongrie et de l’Europe et ferons tout pour empêcher la formation de corridors migratoires. […] Il y va de la survie de notre Etat millénaire et de l’avenir de nos enfants», a affirmé sur les réseaux sociaux la ministre de l’Intérieur, Judit Varga.
Plaies ouvertes à la tête
Difficile, donc, pour Frontex de continuer à assister la Hongrie. D’autant que l’agence fermait les yeux depuis 2016. A l’époque, le rapporteur des droits de l’homme de Frontex avait alerté sa direction sur la brutalité des push back, largement documentée par le Haut Commissariat de l’ONU aux réfugiés, Human Rights Watch, Médecins sans frontières. Plaies ouvertes à la tête, hématomes causés par des coups de matraque, bras cassés, morsures de chiens… telles étaient les blessures des migrants refoulés par les forces magyares. Le rapporteur recommandait que Frontex quitte la Hongrie, sinon «l’Agence pourrait être tenue comme complice d’un Etat qui viole le droit international». La direction n’avait pas suivi ce conseil.
Aujourd’hui, les migrants continuent à cisailler la clôture de 175 kilomètres érigée par la Hongrie à sa frontière sud avec la Serbie. Et quand les push back se passent sans violence, les forces de l’ordre humilient les fugitifs. «En décembre dernier, certains ont été forcés de se dévêtir et ont été expulsés pieds nus et en caleçon», indique András Lederer, responsable du programme des réfugiés auprès du Comité Helsinki hongrois.
Certes, la Croatie ou la Grèce refoulent elles aussi avec brutalité les demandeurs d’asile, «mais la Hongrie est le seul pays de l’UE à avoir inscrit les push backs dans la loi. La police publie même les chiffres tous les jours ! Dans d’autres pays, les ONG et les journalistes sont obligés d’enquêter pour dévoiler ces pratiques». András Lederer souligne que «la Hongrie est également le seul Etat européen où un réfugié ne peut plus avoir aucune protection. Une ressortissante du Yémen est récemment arrivée en avion à Budapest, avec son enfant. Elle voulait demander l’asile mais la police hongroise l’a conduite en voiture… en Serbie».
Dans le Livre noir des push back, publié en décembre 2020, le collectif d’ONG Border Violence Monitoring Network fait état de plus de 12 000 témoignages sur les violences aux frontières. Triste palmarès pour la Hongrie : elle occupe le chapitre le plus long.
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