En Hongrie, l’état d’urgence est permanent. Après l’avoir instauré en 2015 au moment de la crise migratoire puis à partir de mars 2020 au début de la pandémie du Covid, Viktor Orbán l’a à nouveau déclaré mardi. Cette fois, c’est en raison de la «guerre dans un pays voisin», un nouveau prétexte offert par un amendement à la Constitution voté le jour même. Son pays va basculer directement de l’état d’urgence sanitaire, encore en vigueur jusqu’au 1er juin, à l’état d’urgence à motif militaire. Quelques jours après son investiture officielle pour un quatrième mandat d’affilée, cela offre au Premier ministre la possibilité de continuer à gouverner par décrets. Non qu’il en ait besoin : son parti, le Fidesz, dispose d’une confortable majorité des deux tiers au Parlement prête à voter tout projet de loi venu du gouvernement.
La décision d’instaurer un nouvel état d’urgence, la première prise par le nouveau gouvernement Orbán, est avant tout un message politique. En prenant la guerre en Ukraine comme prétexte, le Premier ministre parle d’abord à son électorat. Lors de sa campagne de réélection en mars, il avait mis l’accent sur la «paix», en accusant l’opposition de vouloir entraîner le pays dans la guerre par un soutien trop affiché à l’Ukraine. Ce pacifisme de circonstance cachait mal les liens tissés entre Budapest et Moscou, auxquels Orbán n’est pas prêt à renoncer. Contrairement à ses voisins très actifs sur le plan diplomatique, la Hongrie n’envoie pas d’armes à l’Ukraine et s’oppose même à ce que des convois logistiques destinés à son voisin traversent son territoire.
Prendre des mesures sans consulter le Parlement
Avec l’état d’urgence, le gouvernement garde le même cap et le même message : protéger la population de la guerre et de ses conséquences. Dans la vidéo qui annonce sa décision, Viktor Orbán rappelle que le conflit en Ukraine représente «une menace constante pour la Hongrie», qui pèse sur «la sécurité financière et énergétique de notre économie et de nos familles». Le Premier ministre envoie aussi au passage un signal à Bruxelles. Malgré les débuts de sanctions européennes, il ne reculera pas ni sur ses entorses à l’Etat de droit ni sur son opposition à un embargo sur le pétrole russe.
Au-delà de ces intentions affichées, l’état d’urgence lui permet de prendre des mesures plus rapidement qu’en passant par le Parlement, et sans s’exposer aux débats qu’elles pourraient provoquer. Cela lui offre aussi la possibilité d’adopter des décrets qui contreviennent à d’autres lois. «La nouvelle disposition est une copie presque mot pour mot d’un amendement précédent, adopté en juin 2020. La similarité est inquiétante puisque le gouvernement a utilisé l’état d’urgence précédent pour adopter des mesures qui n’avaient aucun rapport avec l’endiguement du Covid-19 mais qui ont eu un effet négatif sur l’Etat de droit. Des décrets ont été utilisés pour gêner une grève des enseignants, empêcher des référendums locaux ou restreindre l’accès à des données d’intérêt public», rappelle le comité Helsinki hongrois.
«L’état d’urgence a deux avantages importants pour Orban. C’est un filet de sécurité qui lui permet de gouverner par décrets quoi qu’il arrive, pointe Daniel Hegedus du German Marshall Fund. Il lui fournit aussi des outils flexibles pour étendre son pouvoir en limitant le travail des médias indépendants (sous l’état d’urgence lié au Covid, les journalistes n’étaient pas autorisés à interviewer le personnel médical, par exemple et pour rendre certains appels d’offres de marchés publics moins compétitifs et transparents, ce qui présente des avantages évidents dans un régime fondé sur la corruption.»
Décrets contraires aux droits fondamentaux
L’association de défense des droits a recensé 150 décrets promulgués par le gouvernement hongrois lors des trois premiers mois d’instauration de l’état d’urgence sanitaire au printemps 2020. Certains contraires au droit européen ou aux droits fondamentaux. Mais tout en maintenant l’état d’urgence lors des vagues suivantes de l’épidémie, Budapest n’a imposé que peu de restrictions sanitaires, en laissant par exemple les stades de foot ouverts même quand le nombre de cas et de morts s’envolait. Cette même disproportion apparaît aujourd’hui. Le gouvernement n’a pris que peu de mesures pour faire face aux conséquences de la guerre en Ukraine et les seules qui ont été adoptées, notamment pour l’accueil des réfugiés, n’ont pas nécessité de procédures extraordinaires.
Mis à jour le 25/05/2022 à 18h30 avec ajout citation de Daniel Hegedus, du German Marshall Fund