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Libération
Mémoire à vif

En Irlande, des dissonances dans le concert d’hommages à Elizabeth II

Alors que le monde entier rend hommage à la reine défunte, des voix critiques se font entendre en Irlande, rappelant une mémoire conflictuelle toujours à vif avec la Couronne britannique.
Un musicien républicain bat son tambour alors qu'il participe à la Bloody Sunday March to Free Derry Corner, le 30 janvier 2022 à Derry. (Charles McQuillan/Getty Images via AFP)
par Blandine Lavignon, correspondante à Tbilissi
publié le 9 septembre 2022 à 18h40

Au milieu du concert des hommages mondiaux qui ont suivi l’annonce de la mort d’Elizabeth II, scellant la fin d’un règne de 70 ans, une note dissonante se fait entendre en Irlande. «Sa Majesté a servi le peuple britannique avec une dignité exceptionnelle», a pourtant déclaré son président, Michael D. Higgins, lors de son discours de condoléances. Mais cette position ne semble pas faire l’unanimité chez ses concitoyens. Quolibets sur les réseaux sociaux, défilés dans les rues, chants de célébration… certains Irlandais ont tenu à rappeler leur mésestime de la Couronne britannique malgré le deuil.

Il y a bien sûr le poids de l’histoire. Après une guerre de deux ans, l’Irlande arrache son indépendance à la couronne britannique en 1922. Alors qu’elle devient officiellement la République d’Irlande en 1937, une partie du pays reste cependant attachée à l’Angleterre : l’Irlande du Nord. Le territoire sera longuement déchiré entre «unionistes» et «indépendantistes» et si leurs relations sont désormais plus apaisées, la mémoire reste à vif.

Dans la ville de Derry, en Irlande du Nord, quelques habitants se sont ainsi rassemblés ce jeudi soir pour célébrer la fin du règne de la monarque. Les vidéos postées sur les réseaux sociaux témoignent de scènes de liesse, avec un défilé de voitures décorées de drapeaux irlandais, dans un concert de klaxons. L’histoire de la deuxième plus grande ville du pays témoigne à elle seule de la relation conflictuelle entre l’Angleterre et l’Irlande : c’est là que, le 30 janvier 1972, une manifestation a été violemment réprimée par l’armée britannique. Quatorze personnes sont tuées lors de ce Bloody Sunday devenu le symbole du combat des indépendantistes.

D’autres villes irlandaises ont également été le théâtre de scènes similaires dans la soirée, à l’instar de Dublin, lors du match de football disputé jeudi soir par les Shamrock Rovers, le club de football le plus titré du pays. Des supporters en tribune ont entonné «Lizzy in a box», autrement dit «Elizabeth dans un cercueil», sur la mélodie de Give It Up de The KC & Sunshine Band. Un comportement dénoncé dans un communiqué par le club : «Ces chants très insensibles et impitoyables ne sont pas acceptables dans notre club et vont à l’encontre des valeurs défendues par le Shamrock Rovers FC».

Plus globalement, le hashtag #IrishTwitter a fleuri pour se hisser en top tendance sur le réseau social. Les internautes y échangeaient des mèmes polémiques, mais aussi des témoignages sur leur rapport à la Couronne britannique. «En tant qu’Irlandais, je me souviens aujourd’hui des courageux volontaires d’Irlande, d’Inde, d’Afrique, de Palestine et de bien d’autres nations. Aucun d’entre eux n’a eu la chance de mourir comme la reine, dans un lit incroyablement beau, construit avec les richesses de leur pays. Je les salue tous», peut-on notamment lire dans un message portant ce mot clé.

Si elles ne reflètent pas l’opinion de l’ensemble de la nation irlandaise, ces réactions témoignent toutefois du profond malaise qui subsiste entre la Couronne britannique et l’île. Un an en arrière, un virulent éditorial de l’Irish Times, abondamment repartagé depuis jeudi soir, enfonçait par ailleurs le couteau dans la plaie par ces mots très crus : «Avoir une monarchie à côté de chez soi, c’est un peu comme avoir un voisin qui aime beaucoup les clowns, qui a recouvert sa maison de peintures murales de clowns, qui expose des poupées de clowns à chaque fenêtre et qui a un désir insatiable d’entendre et de discuter des nouvelles liées aux clowns. Plus précisément, pour les Irlandais, c’est comme avoir un voisin qui aime beaucoup les clowns et, aussi, votre grand-père a été assassiné par un clown.»