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Analyse

Elections italiennes: avec Giorgia Meloni, le postfascisme au pouvoir

Emmenée par Giorgia Meloni, la cheffe de Fratelli d’Italia, la coalition d’extrême droite a largement remporté les législatives de dimanche. Avec une majorité absolue dans les deux chambres, elle promet de «relever l’Italie».
Matteo Salvini, Giorgia Meloni et Silvio Berlusconi, leaders de la coalition d'extrême droite. (Guglielmo Mangiapane/REUTERS)
par Eric Jozsef, correspondant à Rome
publié le 26 septembre 2022 à 9h58

Elle a attendu le cœur de la nuit. Puis elle est venue célébrer sa victoire devant les journalistes dans un grand hôtel romain. A 45 ans, Giorgia Meloni pourrait devenir la première femme présidente du Conseil italien mais aussi la première cheffe du gouvernement issue des rangs postfascistes depuis 1945 : «C’est une nuit d’orgueil, de rédemption, de larmes, d’embrassades, de souvenirs pour nous tous. C’est une victoire que je veux dédier à tous ceux qui ne sont plus avec nous et qui méritaient de voir cette victoire», a-t-elle clamé sous les applaudissements, dans une référence assez claire aux militants d’extrême droite qui, pendant des décennies, ont été tenus à l’écart du jeu politique.

«Nous n’avons aucun esprit de revanche», a néanmoins assuré la leader de Fratelli d’Italia, qui a revendiqué le poste de Premier ministre. Le succès est incontestable pour un parti qui a obtenu près de 26% des suffrages contre seulement 4%, il y a quatre ans, aux dernières législatives. Les candidats postfascistes s’imposent dans de très nombreuses circonscriptions, notamment dans l’ancien bastion communiste de Sesto San Giovanni, où Isabella Rauti l’emporte très largement avec quinze points d’avance sur le candidat démocrate Emanuele Fiano. Dans cette ancienne ville industrielle de Lombardie, le duel entre la fille d’un ancien volontaire de la république de Salò et le fils d’un déporté des camps d’extermination faisait figure de test sur la capacité de dresser un barrage républicain contre l’extrême droite.

«Meloni s’empare de l’Italie», souligne lundi matin le quotidien progressiste la Repubblica, qui estime «qu’avec ce vote, le pays semble avoir amnistié dans l’indifférence le fascisme historique au point de juger sans importance le lien que Fratelli d’Italia conserve avec ces restes de mémoires et de symboles», notamment la flamme tricolore qui évoquerait le feu ardent et éternel sur la tombe de Mussolini et qui demeure l’emblème du parti.

Partenaires cannibalisés, adversaires divisés

Au total, la coalition de droite et d’extrême droite obtient environ 44% des suffrages et détiendra la majorité absolue dans les deux chambres du Parlement. Globalement, l’alliance entre Fratelli d’Italia, la Ligue et Forza Italia ne progresse pas fortement dans les urnes. Mais Giorgia Meloni a cannibalisé ses partenaires. Silvio Berlusconi et Matteo Salvini obtiennent moins de 9% des suffrages. Giorgia Meloni a capitalisé sur son opposition aux exécutifs qui se sont succédé au pouvoir depuis 2018. Fratelli d’Italia était notamment la seule grande formation à ne pas participer au gouvernement d’union nationale de Mario Draghi.

Tous les partis qui en faisaient partie ont été, à des degrés divers, pénalisés dans les urnes. A commencer par le Parti démocrate (PD) d’Enrico Letta qui subit une véritable défaite. Le PD passe sous la barre des 20% et paie le prix de ne pas avoir réussi à nouer des accords avec le centre, emmené par l’ancien ministre Carlo Calenda et Matteo Renzi (7,7%), et le Mouvement 5 étoiles. La formation populiste dirigée par Giuseppe Conte qui était considérée comme moribonde il y a encore quelques semaines, notamment après avoir provoqué la chute de Mario Draghi en juillet, a tout même réussi à se maintenir à plus de 15% des voix. Le parti antisystème, qui a mené campagne sur les questions sociales et la défense du Mezzogiorno, a notamment remporté toutes les circonscriptions dans la province de Naples. Reste que les adversaires de Giorgia Meloni ne sont pas parvenus à mobiliser les électeurs pour dresser un cordon sanitaire contre l’extrême droite. Dimanche, l’abstention a atteint un niveau record. Plus d’un Italien sur trois (36%) n’est pas allé voter.

«Nous ne trahirons pas votre confiance, nous sommes prêts à relever l’Italie», a indiqué à l’aube Giorgia Meloni, qui en principe pourrait être nommée au palais Chigi d’ici environ un mois. Sans grande expérience gouvernementale (elle n’a été que ministre de la Jeunesse de 2008 à 2011), suscitant la méfiance de ses partenaires européens, la dirigeante de Fratelli d’Italia n’a pas caché que la tâche sera difficile. Pour cela, elle a appelé ses soutiens à faire preuve de «responsabilité». «Le vrai défi de ces élections n’a jamais été celui de battre une gauche divisée mais de gagner pour durer. C’est la condition pour changer l’Italie», a-t-elle d’ailleurs indiqué dans un éditorial d’Il Giornale, proche de la droite. L’opposition, quant à elle, craint que Giorgia Meloni n’entraîne le pays sur la voie des démocraties illibérales, à l’instar de la Pologne de Jaroslaw Kaczynski ou de la Hongrie de Viktor Orban.