Le néologisme est né quelques heures à peine après la victoire électorale de l’opposition libérale polonaise au mois d’octobre. Commentateurs et citoyens se sont mis à parler de «déPiScisation». L’expression résumait l’immense défi qui attendait le futur gouvernement de Donald Tusk : gérer et déconstruire l’héritage du PiS, le parti conservateur et nationaliste qui a gouverné la Pologne entre 2015 et 2023, en piétinant les droits des femmes, l’indépendance des tribunaux et la liberté des journalistes.
De fait, depuis l’intronisation du nouveau gouvernement en décembre, la Pologne vit une crise institutionnelle. Un nouveau paroxysme a été atteint ce mardi 9 janvier. La police a fait irruption dans le palais présidentiel pour arrêter Mariusz Kamiński et Maciej Wąsik, deux anciens ministres du PiS, qui avaient tenté d’y trouver refuge pour éviter d’être conduits en prison où ils doivent purger une peine de deux ans pour abus de pouvoir. L’épisode a mis en lumière la concurrence de légitimité entre les institutions toujours aux mains de fidèles du PiS et celles loyales au nouveau gouvernement, ou en tout cas à l’Etat de droit.
Les deux hommes étaient jusqu’à l’automne ministre de l’Intérieur pour le premier et ministre adjoint pour le second. Mais les faits qui leur sont reprochés remontent au précédent gouvernement du PiS, de 2005 à 2007, à une époque où ils occupaient la tête du Bureau central anticorruption. La justice les a jugés coupables en 2015 d’abus de pouvoir, notamment pour écoutes illégales et production de faux documents. Le Président, Andrzej Duda, qui venait alors d’être élu avec le soutien du PiS, les a immédiatement graciés, avant même que leur procédure d’appel n’ait abouti. Ils ont continué leur carrière en se faisant élire députés avant d’être nommés ministres.
«Sinistre dictature»
Toutefois en juin 2023, la Cour suprême a estimé que la grâce présidentielle était invalide, puisqu’une telle décision prise avant le verdict final violait le principe de séparation des pouvoirs. A la suite de cet arrêt, Kamiński et Wąsik ont été condamnés en appel à deux ans de prison en décembre. La querelle juridique ne s’est pas arrêtée là pour autant. Comme le veut la procédure pour toute personne condamnée, le président de la Chambre des députés, Szymon Holownia, les a privés de leur immunité parlementaire et déchus de leur fonction. Sa décision a immédiatement été rejetée par l’un des tribunaux de la Cour suprême, établi par le gouvernement du PiS et toujours aux mains de juges inféodés au parti, qui a argué que la grâce présidentielle était bien valide. Un juge a choisi d’ordonner malgré tout l’arrestation du duo, en faisant valoir que ce tribunal n’était pas reconnu comme tel par la Cour européenne de justice en raison de son manque d’indépendance et d’impartialité.
Mardi matin, quand la police s’est présentée chez les deux hommes pour les conduire en détention, elle a trouvé leurs domiciles vides. Kamiński et Wąsik ont refait surface quelques heures plus tard, quand ils sont apparus à la télévision dans la cour du palais présidentiel. «Nous sommes confrontés à une grave crise de l’Etat. Une sinistre dictature est en train de se mettre en place», a alors déclaré l’ancien ministre de l’Intérieur devant les caméras avant de retourner se réfugier dans le palais. Les ors de la République ne l’ont pas protégé longtemps. A la tombée de la nuit, la police s’est présentée au palais et l’a arrêté avec son comparse. Conduit en centre de détention, l’ancien ministre de l’Intérieur aurait commencé une grève de la faim.
Chaos légal
Depuis, le PiS s’est déchaîné. Le parti parle de «coup d’Etat», «d’attaque contre le palais présidentiel», de vendetta contre des hommes qui auraient trop bien lutté contre la corruption. «Mariusz Kamiński et Maciej Wąsik sont les premiers prisonniers politiques du régime Tusk», a lancé Beata Szydło, ancienne première ministre du PiS. En face, Donald Tusk a accusé Andrzej Duda d’avoir causé «un chaos légal sans précédent» en hébergeant des criminels condamnés et en cherchant à créer un système de pouvoir alternatif.
En prenant la tête du gouvernement, Tusk savait qu’il aurait à composer avec un président proche des conservateurs et doté d’un puissant véto et avec un système judiciaire profondément divisé et en partie asservi par le PiS. Ces contre-pouvoirs, aux légitimités très variables, ont manifestement décidé de jouer leur partition à fond pour ralentir au maximum les réformes du nouveau gouvernement. En réponse, celui-ci cherche à agir vite, et parfois sans prendre de gants. Sa première décision majeure, à peine une semaine après avoir été investi, a été de changer la direction de tous les médias publics, transformés en courroies de propagande par le PiS. Mais si le motif était valable, le gouvernement a usé de moyens plus critiquables, en se servant d’une faille juridique.
Remous dans la télévision publique
Plus de trois semaines après la décision, celle-ci continue à susciter des remous. Des députés du PiS ont longtemps occupé un studio de TVP (la télé publique, où ils étaient habitués à avoir leur rond de serviette), y passant même le réveillon de Noël et de nouvel an. Plusieurs directeurs de TVP nommés par des instances concurrentes se disputent le poste sur le papier, bien que la personne réellement aux manettes soit celle nommée par le gouvernement.
Pour priver de financement les médias publics passés sous une nouvelle direction, le président Duda a opposé son véto à tout le budget 2024. En réponse, le gouvernement a placé TVP, la radio nationale et l’agence de presse PAP en liquidation judiciaire, ce qui leur permet de continuer à fonctionner sous la tutelle de dirigeants nommés par les autorités. Dernier épisode en date de la saga : un tribunal vient de juger illégal le changement de direction effectué par le gouvernement en décembre.