Dans un pays où l’influence de l’Eglise catholique reste forte, le droit à l’avortement est un sujet de crispation, qui sera ce jeudi 11 avril au cœur des discussions au Parlement polonais, où la question doit être à nouveau débattue et promet de faire des remous. Cette fois-ci, pour permettre sa libéralisation après des années de recul sous la gouvernance des ultra-conservateurs du parti Droit et Justice (PiS). C’est avec l’appui de ce parti, alors aux manettes, que le tribunal constitutionnel polonais avait durci la loi le 22 octobre 2020 en interdisant l’avortement en cas de malformation du fœtus. Depuis, les Polonaises ne sont autorisées à avorter qu’en cas de viol, d’inceste ou quand la vie de la mère est en danger. L’interruption volontaire de grossesse (IVG) est donc de fait quasi interdite. En 2022, seulement 161 avortements ont été enregistrés, contre 2 000 avant le durcissement de la loi.
«Il y a eu un gros mouvement de réaction chez les femmes», se souvient Jacques Rupnik, directeur de recherche émérite et spécialiste de l’Europe centrale et orientale. Après des mois de manifestations, la colère des Polonaises, qui ne cessent de se battre pour leur liberté, s’est ressentie dans les urnes lors des législatives du 15 octobre. L’opposition pro-européenne emmenée par Donald Tusk, qui avait fait du droit à l’avortement son cheval de bataille, s’impose face aux conservateurs. Le chef de file de la Coalition civique devient le nouveau Premier ministre et offre aux Polonaises l’espoir d’une libéralisation du droit à avorter. Après des mois de promesses de la part du gouvernement, quatre projets de lois sur l’IVG seront donc débattus à la Diète, la Chambre basse du Parlement, ce jeudi, avec un vote prévu le lendemain.
«Le premier gros test de la coalition»
La session s’annonce houleuse car le projet de loi suscite des divergences au sein même des partis fédérés autour du gouvernement de Donald Tusk. Le parti de gauche, peu représenté au sein de la Diète, a déposé un texte pour légaliser l’avortement jusqu’à douze semaines de grossesse en fonction uniquement de la décision de la femme. Du côté de la Coalition civique (chrétien-démocrate), le texte est sensiblement le même, mais moins ferme.
A lire aussi
C’est plus flou en revanche pour l’alliance politique Troisième voie, plus conservatrice et formée par les partis centristes Parti paysan polonais (PSL) et Pologne 2050, dont le fondateur est Szymon Holownia, le président de la Chambre basse. De nombreux députés de cette alliance privilégient un retour à la loi de 1993, qui n’autorisait l’avortement qu’en cas de grossesse résultant d’un viol, de menace pour la vie de la mère ou de fœtus non viable. Pour noyer le poisson, le président de la Diète a annoncé dans des médias locaux vouloir mettre en place un référendum. Inutile selon la Coalition civique dans un pays où, selon les sondages, environ 68 % des Polonais sont favorables à une libéralisation du droit à l’avortement. «C’est dans le style de Szymon Holownia de ne pas se prononcer», analyse Jacques Rupnik.
«La coalition au pouvoir a bénéficié d’un vote des femmes, elle a donc le devoir de changer les choses, explique Lukas Macek, chef du Centre Grande Europe Chercheur et spécialiste de l’Europe centrale et orientale. Pour le moment la coalition est majoritaire au gouvernement, mais s’ils se divisent ça va être très compliqué pour le gouvernement de Donald Tusk. C’est selon moi le premier gros test de la coalition.» L’enjeu est donc de taille pour le Premier ministre, issu des rangs chrétiens-démocrates, et dont l’engagement sur ce sujet «est une façon pour lui d’avoir l’aile gauche à ses côtés», affirme le chercheur.
Risque de veto
Mais l’influence du PiS et de l’Eglise ne doit pas être oubliée. Si la coalition est restée majoritaire lors des élections municipales et régionales du 7 avril, c’est bien le parti conservateur qui a remporté le plus de voix. Il peut surtout compter sur le soutien infaillible du président polonais, Andrzej Duda. En février, le Parlement avait voté en faveur d’un accès libre aux pilules du lendemain pour les femmes de plus de 15 ans. C’était sans compter sur l’intervention du président conservateur, fervent catholique. Le 29 mars, il s’y est opposé en mettant son veto. Il fait peu de doute que le scénario se répète si la Diète trouve un accord sur le droit à l’avortement. Lukas Macek ne cache pas son pessimisme : «Tant que Duda est là, tout ce qu’adopte le Parlement peut tomber à la poubelle.» L’élection présidentielle de 2025 sera donc déterminante dans l’évolution des droits des femmes.