«De nos jours, une amende pour une telle accusation peut être considérée comme un acquittement.» L’avocat Kaloï Akhilgov avait de quoi être soulagé, mercredi 12 mars : un tribunal militaire de Moscou a prononcé la libération de sa cliente Nadejda Kevorkova. Poursuivie pour «justification du terrorisme», cette journaliste de 66 ans était incarcérée depuis son arrestation dans la capitale en mai 2024. Au terme d’un procès de trois jours, le ministère public avait réclamé contre elle une peine de six ans de prison. Mais le tribunal a été plus clément. Il a seulement condamné la journaliste à une amende de 600 000 roubles (environ 6 300 euros) et a mis fin à sa détention provisoire.
Deux publications sur Telegram
Spécialiste reconnue du Moyen-Orient, Nadejda Kevorkova est l’autrice de plusieurs ouvrages sur la Palestine et de nombreux reportages dans des zones de conflit comme l’Irak, la Syrie ou l’Afghanistan. Elle a travaillé pour le prestigieux journal indépendant Novaïa Gazeta (désormais interdit en Russie), mais aussi par exemple pour la chaîne pro-Kremlin Russia Today. Au printemps 2024, son interpellation avait eu lieu dans un contexte de regain de tension sécuritaire, quelques semaines après l’attentat du Crocus City Hall, revendiqué par l’organisation Etat islamique, qui avait coûté la vie à 144 personnes.
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A la reporter sexagénaire, la justice avait reproché deux publications sur la messagerie Telegram. La première, datée de septembre 2018, était la copie d’un texte de son ami journaliste Orkhan Djemal, tué quelques semaines plus tôt en République centrafricaine. Le document faisait allusion à une attaque meurtrière commise par un groupe islamiste dans le Caucase russe en 2005, et une expertise judiciaire a considéré qu’il justifiait les agissements des criminels. La deuxième publication remonte au mois de septembre 2020 et portait sur la situation politique en Afghanistan. Selon la justice, Nadejda Kevorkova y faisait l’éloge du groupe taliban, déclaré «terroriste» en Russie bien que Moscou maintienne des relations avec eux, notamment depuis leur retour au pouvoir en 2021.
Rare victoire pour la liberté de la presse
«Je n’ai jamais soutenu et ne soutiens aucune organisation politique. Je ne soutiens pas les activités terroristes», s’est défendue la journaliste devant le tribunal. Elle avait reçu le soutien de plusieurs personnalités publiques, notamment Marat Kabaïev, président d’une association d’entrepreneurs russes musulmans et père de l’ex-championne de gymnastique Alina Kabaïeva, dont la rumeur dit qu’elle est la compagne du président Vladimir Poutine. A la barre, Nadejda Kevorkova a souligné que ses messages ne représentaient aucune menace pour la sécurité nationale.
Son avocat a déclaré qu’au vu du contexte sécuritaire consécutif à l’attentat du Crocus City Hall, «les services de sécurité sont beaucoup plus sensibles à toute activité terroriste ou justification du terrorisme, et ils réagissent à cela immédiatement». Le ministère public n’a pas indiqué s’il souhaitait faire appel de cette décision de justice, qui représente une rare victoire pour la liberté de la presse dans un pays qui compte près de quarante travailleurs des médias incarcérés à ce jour, selon les données de l’ONG Reporters sans frontières.