Cela fait presque seize mois qu’il est derrière les barreaux. Le procès à huis clos du journaliste américain Evan Gershkovich, interpellé en mars 2023 pour «espionnage», a repris ce jeudi 18 juillet à Ekaterinbourg, dans l’ouest de la Russie. L’audience, la seconde depuis l’ouverture du procès le 26 juin, a débuté en fin de matinée, a fait savoir un porte-parole du tribunal.
Toute la procédure étant placée sous le sceau du secret, aucune autre information n’a été dévoilée. A la demande de la défense, l’audience, initialement prévue en août, a été avancée à ce jeudi. Elle est fermée au public et contrairement à la fois précédente, les journalistes n’ont pas pu voir l’accusé dans la salle du tribunal avant le début des débats.
A lire aussi
C’est dans cette même ville, à Ekaterinbourg, qu’Evan Gershkovich avait été arrêté il y a plus d’un an, fin mars 2023. Le correspondant de 32 ans était alors en plein reportage pour le Wall Street Journal, et muni de toutes les accréditations officielles permettant aux journalistes de travailler en Russie. Après son interpellation, le reporter chevronné avait été transféré à Moscou, et incarcéré dans le centre de détention provisoire Lefortovo.
Un «simulacre» de procès
Depuis, la Russie n’a jamais étayé les accusations d’espionnage pesant contre lui et passibles de 20 ans de prison, ni apporté publiquement d’éléments de preuves. L’ensemble de la procédure, elle, a été classée secrète. Peu avant son arrestation, Evan Gershkovich s’était rendu à Nijni-Taguil, où se trouve l’un des principaux fabricants russes d’armements, l’entreprise Ouralvagonzavod. Une usine qui produit notamment des chars T-90, utilisés en Ukraine, et ceux de nouvelle génération Armata. D’après Vyatcheslav Vegner, un député de la région de Sverdlovsk, Evan Gershkovich lui aurait posé des questions sur la façon dont les Russes perçoivent les sociétés militaires privées, et notamment celle d’Evgueni Prigojine, Wagner.
Selon les enquêteurs russes, le reporter aurait ainsi recueilli des informations sensibles pour le compte de la CIA sur Ouralvagonzavod. Mais de son côté, le correspondant du Wall Street Journal – et ancien journaliste du bureau de l’AFP à Moscou – continue inlassablement de clamer son innocence. De même que son employeur, ses proches et les Etats-Unis, qui rejettent avec véhémence ces accusations d’espionnage. Fin juin, la Maison Blanche avait dénoncé un «simulacre» de procès, réitérant le fait qu’Evan Gershkovich n’avait «jamais travaillé pour le gouvernement» américain et «n’aurait jamais dû être arrêté».
Un possible échange de prisonniers
Depuis l’époque soviétique, Evan Gershkovich est le premier journaliste occidental à être accusé d’espionnage en Russie. Mais pour Washington, son arrestation vise avant tout à monnayer un possible échange de prisonniers. Alors que Moscou a admis négocier sa libération, Vladimir Poutine lui-même a évoqué le cas de Vadim Krassikov, incarcéré en Allemagne pour un assassinat commandité attribué aux services spéciaux russes. Mercredi, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a à nouveau évoqué le sujet depuis le siège de l’ONU à New York, assurant que des contacts étaient en cours «pour voir s’il est possible d’échanger quelqu’un contre quelqu’un», selon l’agence d’Etat TASS.
Au premier jour de son procès, le 26 juin, Evan Gershkovich était apparu le crâne rasé – la coupe imposée aux prisonniers – mais souriant depuis la cage en verre réservée aux accusés. Le journaliste, qui communique avec ses proches à travers des lettres lues et censurées par l’administration pénitentiaire, assure garder le moral et attendre sa condamnation. Installé en Russie depuis 2017, le reporter n’est pas le seul Américain à être détenu dans le pays. Arrêtée en octobre 2023 pour ne pas s’être enregistrée en tant qu’«agent de l’étranger», la journaliste russo-américaine Alsu Kurmasheva risque aujourd’hui 15 ans de prison. L’ex-Marine Paul Whelan, lui, purge une peine de 16 ans de prison pour «espionnage», une accusation qu’il conteste.