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Libération
Héritage

En Russie, un hommage à Mikhaïl Gorbatchev en nuances de gris

En tentant de réformer le système soviétique, l’ancien dirigeant a contribué à l’effondrement de l’URSS et laisse encore aujourd’hui un héritage mitigé dans son pays, qui transparaissent dans les reportages des chaînes télévisées russes.
Mikhaïl Gorbatchev à Moscou, le 1er mai 1988. (Wojtek Laski/Getty Images)
publié le 31 août 2022 à 20h55

«Gorbatchev l’a admis, il a commis de nombreuses erreurs, mais il a toujours assumé la responsabilité de ses actes», commence la journaliste de Perviy Kanal, la première chaîne d’information russe, dans un reportage consacré au «premier et unique président de l’Union soviétique», décédé à 91 ans. «Il a dirigé le pays pendant une période très difficile», poursuit-elle, listant la perestroïka (période de «reconstruction»), le retrait des troupes d’Afghanistan, l’effondrement du pacte de Varsovie, la fin de la guerre froide, la chute de l’URSS : tant d’évènements clés pour la Russie. Puis le site du Kremlin s’affiche à l’écran. En page : la lettre de condoléances de Vladimir Poutine envers ce prédécesseur auquel il concède «une énorme influence sur le cours de l’histoire mondiale».

Fléau de l’alcoolisme

Chaque mot est lu à voix haute. «Il a dirigé notre pays lors de changements complexes et spectaculaires, de défis de grande envergure en matière de politique étrangère, économique et sociale, écrit l’actuel président. Il avait une profonde compréhension de la nécessité des réformes, et il a cherché à proposer ses propres solutions aux problèmes urgents.» Un mot sur les activités humanitaires et caritatives de l’ancien chef d’Etat et le reportage se lance. L’émission suit le même chemin, elle dresse le portrait d’un homme qui a voulu réformer un territoire gigantesque, qui s’est trompé, mais qui a essayé.

C’est un hommage en nuances de gris, qui raconte un homme qui aimait les gens, qui était «toujours prêt à parler» avec eux. Des images de bains de foule se succèdent, des manifestations de soutien à la perestroïka. Des vidéos de sa lutte contre l’alcoolisme racontent cette période où l’alcool était devenu si cher que tous les ménages se mettaient à fabriquer du samogon – eau-de-vie artisanale à base de fruits ou de plantes –, n’endiguant pas du tout le fléau de l’alcoolisme. Et puis, le déficit de produits alimentaires dans les magasins, les affrontements avec la police.

«Je prends toute la responsabilité»

Le portrait s’obscurcit puis s’éclaire à nouveau, sur un sujet complètement différent : fini la période de la perestroïka, place à la diplomatie. «Il y a eu une véritable percée en politique étrangère», reprend le commentaire, qui raconte la paix insufflée pour les années à venir, malgré l’absence de sucre sur les étagères des magasins. Les images d’archive montrent un Gorbatchev au soleil, un bébé au bras, le président des Etats-Unis Ronald Reagan à ses côtés. Ils auraient presque l’air amis. Mais nouvel assombrissement : l’homme politique russe s’est «fait avoir» par l’Occident.

«Trust but verify» («fais confiance, mais vérifie»), sourit Reagan, après une tentative de le dire en russe avec un accent très américain. «Gorbatchev a fait confiance, revient le commentateur, hachant ses phrases. Trop. Il a retiré les troupes d’Afghanistan. Puis celles d’Allemagne et des pays d’Europe de l’Est, en échange de promesses de ne pas étendre l’Otan et d’une tape dans le dos. Et il regrettera avoir été trompé.» L’URSS s’effondre, les chefs des républiques disloquent le bloc soviétique «derrière son dos». En 1991, sa dernière année au gouvernement, Mikhaïl Gorbatchev apparaît comme dépassé : «On a allumé le moteur mais sans les freins. Je ne peux rien dire, je prends toute la responsabilité, de tout ce qui s’est passé. Je ne me cache pas.» Il explique que si c’était à refaire, il le referait : «Sans parler des erreurs, faire différemment n’était pas possible.»