L’arrestation fait l’effet d’une bombe au plus haut niveau de l’appareil militaire russe, alors que le conflit avec l’Ukraine fait rage et que le pouvoir a décuplé les dépenses pour son armée. Ce mercredi 24 avril, la justice russe a placé en détention provisoire un vice-ministre de la Défense, Timour Ivanov. Arrêté pour corruption, son train de vie avait été dénoncé en 2022 dans une enquête de l’organisation du défunt leader de l’opposition, Alexeï Navalny.
Âgé de 48 ans, le haut responsable de l’armée, à son poste depuis 2016, est apparu ce mercredi à son audience dans un tribunal de Moscou en uniforme militaire, se tenant droit dans la cage en verre réservée aux détenus, ont révélé des images diffusées par la justice russe. D’après une source sécuritaire anonyme citée par l’agence de presse Tass, Timour Ivanov se trouve en détention provisoire à Lefortovo, une prison de la capitale administrée par les services de sécurité russes (FSB) – là où est aussi détenu le journaliste américain Evan Gershkovich. Le service de presse des tribunaux moscovites a annoncé qu’il sera incarcéré pour au moins deux mois dans l’attente de son procès, après avoir été inculpé de «prise de pots-de-vin à grande échelle», un crime passible de quinze ans de prison. Les mêmes accusations ont été portées contre un complice présumé, Sergueï Borodine, également placé en détention provisoire.
Sur la base de révélations du média indépendant russe IStories, le quotidien indépendant Novaïa Gazeta a cependant annoncé ce mercredi sur X (ex-Twitter) que «la véritable raison de l’arrestation d’Ivanov pourrait être des accusations de trahison» dont les autorités russes ne voudraient pas «parler publiquement», de peur de soulever un «énorme scandale».
Dmitri Peskov déguisé en ours lors de vacances avec le couple Ivanov
De son côté, le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a appelé à ne pas tomber dans des «conjectures» autour de cette affaire. «Énormément de ragots circulent actuellement. Il faut se tourner vers les informations officielles. Une enquête est en cours», a-t-il éludé. Selon les enquêteurs, Timour Ivanov, chargé du BTP au sein du ministère de la Défense – notamment de travaux dans des installations militaires –, a fait partie d’un système de corruption dans le cadre de «la réalisation de travaux contractuels et de sous-traitance pour les besoins du ministère».
Fin 2022, le haut responsable avait déjà fait l’objet d’une enquête de la Fondation anticorruption, créée par l’opposant Alexeï Navalny et interdite en Russie pour «extrémisme». D’après l’organisation, le vice-ministre avait supervisé et profité de projets de construction à Marioupol, un port ukrainien conquis au printemps 2022 après avoir été ravagé par l’armée russe. Le Kremlin n’avait alors pas réagi à ces révélations.
Récit
L’ex-femme de Timour Ivanov, Svetlana Ivanova, personnalité faisant partie de l’élite fortunée, était aussi visée par l’enquête de l’opposition. Certaines de ses dépenses pour l’achat de produits de luxe avaient été réglées par des entreprises ensuite impliquées dans la reconstruction de Marioupol. D’après les investigations de la Fondation anticorruption, le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov apparaissait lui-même sur des images de vacances de 2021 avec le couple Ivanov. Il y paraît vraisemblablement déguisé en ours, dansant au cours d’une petite cérémonie.
Un divorce pour contourner les sanctions de l’UE
Depuis octobre 2022, Timour Ivanov est sanctionné par l’Union européenne en tant que haut responsable du ministère de la Défense. L’enquête du bureau d’Alexeï Navalny affirme qu’il avait divorcé pour permettre à sa femme de contourner ces sanctions.
En 2019, le magazine Forbes Russie avait désigné le vice-ministre comme étant l’un des membres de l’appareil sécuritaire russe les plus riches de son pays. Le magazine relate que ce diplômé en mathématiques et en cybernétique a fait une grande partie de sa carrière dans le domaine de l’industrie atomique, avant de rejoindre en 2012 l’équipe de Sergueï Choïgou, alors gouverneur de la région de Moscou. Timour Ivanov l’avait ensuite suivi après sa nomination au poste de ministre de la Défense, qu’il occupe toujours actuellement.
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Par le passé, en particulier dans les années 1990 et 2000 – après la dislocation de l’URSS –, l’armée russe avait été éclaboussée par de multiples scandales de corruption ayant conduit à plusieurs reprises à de sévères peines de prison. La Fondation anticorruption d’Alexeï Navalny a mené de multiples enquêtes de ce type contre de hauts responsables de l’Etat, y compris Vladimir Poutine. Elle avait notamment publié des investigations sur un palais somptueux des bords de la mer Noire censé appartenir au président russe, qui, face aux remous suscités, avait dû démentir en personne ces allégations.