Voilà plus de sept mois qu’ils se mobilisent quasiment tous les jours, et leur détermination reste intacte. Alors que les chaleurs caniculaires se sont installées dans les Balkans, les étudiants serbes ont appelé l’ensemble de la population à une nouvelle journée de manifestation contre le régime autoritaire du président Vucic, ce samedi 28 juin à Belgrade.
En ce jour de célébration de la fête nationale de Vidovdan, le niveau de mobilisation sera scruté, tant par les autorités que par le mouvement étudiant. La journée du 15 mars reste dans toutes les têtes. Selon un comptage indépendant, plus de 300 000 personnes avaient défilé ce jour-là dans la capitale, pour ce qui est depuis considéré comme la plus importante manifestation de l’histoire de ce pays de 6,6 millions d’habitants. L’utilisation d’un canon sonique – très probablement par les autorités qui nient en avoir fait usage – pendant un moment de recueillement avait en partie interrompu le rassemblement et déçu beaucoup de citoyens qui espéraient le départ d’Aleksandar Vucic, arrivé à la tête de l’Etat il y a treize ans.
«Les protestations ont délégitimé le pouvoir en place»
Depuis le 1er novembre 2024, et l’effondrement de l’auvent de la gare tout juste rénovée de Novi Sad qui a fait 16 morts, les étudiants sont à la pointe d’un mouvement de révolte inédit en Serbie, totalement horizontal et pacifique. Blocages de rues ou de bâtiments officiels, marches festives à travers des petites villes de province, courses à pied ou à vélo jusqu’à Bruxelles et Strasbourg pour obtenir un (bien faible) appui européen, les actions protéiformes des étudiants, décidées en AG, sont applaudies par une large partie de la population serbe qui soutient leur lutte pour l’état de droit et contre la mainmise sur les institutions du SNS, le parti présidentiel.
Cette semaine, ils ont lancé un «ultimatum» au gouvernement dans une lettre ouverte publiée sur les réseaux sociaux. Avec deux revendications principales : l’organisation d’élections anticipées et le démontage de «Cacilend», un campement installé depuis des mois juste en face du Parlement, qui abrite de «vrais étudiants» désireux de reprendre les cours. Parmi ces derniers, de nombreux médias indépendants ont prouvé la présence d’anciens paramilitaires, possibles agents provocateurs à la solde du régime.
Dans leur lettre, les étudiants justifient la nécessité de dissoudre le Parlement «car les protestations ont délégitimé le pouvoir en place». Leur ultimatum a été fixé à 21 heures ce samedi 28 juin, soit la fin du rassemblement. «Je m’attends à ce qu’il y ait beaucoup de monde et une bonne énergie», s’enthousiasme Nikolina Sindjelic, étudiante en sciences politiques et manifestante de la première heure. «Si nos demandes ne sont pas prises en compte, j’espère que nous commencerons un mouvement de désobéissance civile et que tout s’arrêtera.» Jour après jour, les tensions et la crise politique que traverse le pays se font durement sentir, affectant l’économie locale et la plupart des foyers.
Plusieurs arrestations avant le rassemblement
Face à cette nouvelle montée de la contestation, le président Vucic a repris son habituelle rhétorique à la fois victimaire et menaçante afin de mobiliser sa base. Evoquant le risque de «révolution de couleur», il a prévenu que les autorités n’hésiteraient pas à intervenir en cas de violence. Les tabloïds et les principales chaînes de télévision qu’il contrôle ont redoublé d’attaques contre les étudiants, traités de «criminels» et d’«anti-Serbes». A quelques jours du rassemblement, plusieurs personnes ont été arrêtées, accusées de «vouloir renverser l’ordre constitutionnel». Comme lors de précédentes mobilisations, la compagnie de chemin de fer nationale a annoncé la suspension totale du trafic suite à de mystérieux appels à la bombe.
Depuis plusieurs semaines déjà, la répression du mouvement s’abat sur la communauté universitaire, accusée d’instrumentaliser les étudiants. Salaires non payés, poursuites pénales, campagne de diffamation, projet de loi en faveur de l’enseignement privé – les professeurs et les têtes de l’administration sont dans le viseur des autorités. Dans une tribune publiée dans le Monde la semaine dernière, le recteur de l’université de Belgrade, Vladan Djokic, dénonçait des «pressions et des mesures répressives continues» ainsi qu’une «campagne pour asphyxier l’enseignement supérieur».
Alors qu’ils ont longtemps écarté tout engagement dans l’arène politique, les étudiants voient désormais les élections anticipées comme une étape nécessaire de leur combat pour une Serbie démocratique.