Dans les rues de Belgrade, la colère ne faiblit pas. Quelque 140 000 personnes ont manifesté dans la capitale serbe, samedi 28 juin, pour demander des élections législatives anticipées, selon Arhiv javnih skupova, un groupe indépendant spécialisé depuis plusieurs années dans le comptage des manifestations. Depuis le lancement, en novembre, de ce mouvement de contestation qui secoue tout le pays, cette mobilisation est la deuxième plus importante. Le 15 mars, une manifestation avait rassemblé près de 300 000 personnes.
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Il s’agit pour l’heure d’un décompte temporaire, et «le décompte final pourrait varier de 10 %», a écrit Arhiv javnih skupova sur X. «Nous voulons des élections», a scandé la foule qui a envahi la plus grande place de Belgrade et plusieurs artères alentour, en brandissant des drapeaux serbes. En fin de soirée, des heurts ont éclaté entre des grappes de manifestants, dont certains avec des fumigènes et les forces de l’ordre, qui ont fait usage de gaz lacrymogènes et de grenades assourdissantes. Les heurts sont rares depuis le début du mouvement.
«Cette lutte n’est pas seulement celle des étudiants»
Le mouvement est né de l’effondrement le 1er novembre 2024 de l’auvent en béton de la gare de Novi Sad (nord du pays), qui a coûté la vie à 16 personnes dont deux enfants. Les étudiants en ont rapidement pris la tête. Frustrés par l’inaction du gouvernement populiste face à cette tragédie largement imputée à l’enracinement de la corruption dans le pays, ils ont établi plusieurs revendications ces derniers mois, notamment une enquête indépendante, et exigent depuis mai des législatives anticipées.
Le mouvement avait semblé marquer le pas après l’immense manifestation de mars, mais les étudiants espèrent que cette nouvelle démonstration de force lui donnera un nouvel élan. Ils ont dans la semaine présenté deux demandes au Président : la dissolution du Parlement, et le départ de ses partisans qui campent devant la présidence depuis le 12 avril. Aleksandar Vucic (droite nationaliste) avait, selon l’ultimatum des étudiants, jusqu’à ce samedi soir pour y répondre. Le délai expiré, des étudiants ont lu un communiqué aux manifestants : «Peuple de Serbie ! Le temps est écoulé, mais pas pour nous […]. Cette lutte n’est pas seulement celle des étudiants. Aujourd’hui, nous exigeons tous des élections. Nous nous lèverons tous et nous gagnerons tous».
«Violence et répression»
Dans un texte posté plus tard sur Instagram, les étudiants ont rejeté la responsabilité de toute radicalisation sur les autorités, «qui avaient tous les moyens de satisfaire les revendications et ont préféré choisir la violence et la répression». Alimentant les craintes de heurts entre les deux camps, Aleksandar Vucic avait prévenu dans la matinée qu’il y aurait «de la violence» vers la fin de la manifestation des étudiants. Ces derniers, dont les rassemblements ont toujours été pacifiques, ont de leur côté menacé d’une «radicalisation» si leurs demandes n’étaient pas satisfaites, appelant à une «désobéissance civile pacifique».
Vendredi soir, le président Vucic leur avait répondu, rejetant leurs revendications et les accusant, comme il l’avait déjà fait, d’être à la solde de «puissances étrangères». «A la fin, la Serbie gagne toujours», a-t-il posté sur Instagram tard samedi. Face à un mouvement de contestation de cette ampleur, le président serbe s’est séparé du chef du gouvernement et de certains ministres en janvier, tout en accusant régulièrement les manifestants de vouloir fomenter un coup d’Etat, d’être payés par d’autres pays ou de vouloir attenter à sa vie. Le pouvoir a également maintenu la pression sur un certain nombre de militants : plus de dix personnes ont été arrêtées ces derniers jours. Samedi soir, un journaliste de l’AFP a vu au moins deux manifestants se faire arrêter.