Certains y voient déjà un «Maidan» serbe. Dans la soirée de dimanche 24 décembre, une foule d’opposants au président Aleksandar Vucic s’est présentée, armée de drapeaux serbes et quelques-uns européens, devant la mairie de Belgrade pour contester les résultats des élections législatives du 17 décembre. Elles ont vu le parti présidentiel SNS (droite nationaliste) l’emporter avec 46,72 % des voix. Sous les sifflets nourris de la place comble et les slogans comparant Vucic à Poutine, certains manifestants ont jeté des pierres, des bâtons et des œufs sur le bâtiment, brisant des fenêtres. Ils ont même tenté d’en forcer l’entrée avant d’être repoussé par les forces de l’ordre qui ont dispersé la place au gaz poivre aux alentours de 22 heures.
«Il n’y a pas de révolution en cours», a réagi dans la foulée le président serbe sur la chaîne progouvernementale Pink TV. Il a précisé que deux policiers avaient été «grièvement blessés» dans ce qu’il juge être une tentative de «prise de contrôle par la force des institutions de l’Etat», ajoutant qu’il disposait de «preuves solides» selon lesquelles «tout a été préparé à l’avance». Comprendre : depuis l’étranger.
Reportage
Des électeurs pro-pouvoir «importés» ?
Pas encore une révolution mais tout de même une crise politique qui prend de l’ampleur depuis une semaine. Le scrutin du 17 décembre a suscité de nombreuses critiques après qu’une équipe d’observateurs internationaux – comprenant des représentants de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) – a dénoncé une série d’«irrégularités», notamment «l’achat de voix» et «le bourrage des urnes». Des critiques dans le pays avec des centaines de personnes qui ont manifesté quotidiennement devant la commission électorale, mais aussi à l’international. L’Allemagne a ainsi qualifié les fraudes présumées d’«inacceptables» pour un pays qui espère rejoindre l’Union européenne. Les Etats-Unis, eux, ont appelé Belgrade à répondre aux «inquiétudes» des observateurs électoraux, et l’UE a déclaré que «le processus électoral de la Serbie nécessite des améliorations tangibles et de nouvelles réformes».
Ce lundi, des manifestants étaient déjà de retour dans la rue pour bloquer une petite artère du centre de la capitale où se trouve le siège du ministère de l’Administration publique et de l’autonomie locale. Essentiellement des étudiants de l’organisation «Borba» (Combat), qui réclament la révision de la liste électorale qui, selon eux, est à l’origine de la fraude électorale.
La cheffe de l’opposition serbe, Marinika Tepic, s’est mise en grève de la faim avec six autres parlementaires pour «alerter en Serbie et à l’étranger» sur cette fraude supposée et exiger un nouveau scrutin. Elle était tête de liste d’un mouvement d’opposition uni, né des manifestations contre la violence endémique en Serbie, qu’Aleksandar Vucic est accusé de banaliser. Mettant sa santé «en danger», selon son parti, cette ancienne journaliste de 49 ans s’est installé un lit de fortune sur la banquette du Parlement à Belgrade et reçoit des perfusions quotidiennes. «J’essaie de ne pas penser à la mort. Je ne vois pas ça comme un sacrifice, mais comme un combat, et un moyen de me maintenir en vie, s’est-elle justifiée face à la presse. Je n’ai aucune intention d’abandonner tant que ces élections truquées n’auront pas été annulées, qu’ils n’auront pas admis qu’il y a eu fraude électorale, et tant que la volonté du peuple ne sera pas défendue.» Elle accuse le Président d’avoir «importé» des voix au-delà des frontières serbes lors du scrutin après que les observateurs internationaux ont aussi évoqué des informations sur des «électeurs vivant à l’étranger et amenés en bus par le parti au pouvoir pour voter à Belgrade».
La Russie au soutien de Vucic
Pour l’instant, Aleksandar Vucic refuse de céder quoi que ce soit aux critiques. «Je voudrais demander à tous ceux qui font la grève de la faim de ne pas le faire. Ils peuvent organiser des manifestations tous les jours, j’ai l’habitude des manifestations», déclarait-il dimanche avant que ne se tienne celle de Belgrade. Il menace tout de même ceux qui le font à demi-mot, avertissant que les autorités sont «en capacité» d’arrêter et de juger les responsables des incidents comme ceux survenus dimanche soir. «Personne n’a le droit de détruire notre maison, de détruire les biens de notre pays et de nos citoyens, ni de blesser grièvement nos policiers», a-t-il répété sur Pink TV.
En toile de fond de cette crise politique, le profil très russophile du chef de l’Etat serbe. Alors que la guerre en Ukraine a plutôt rapproché les pays de la périphérie de l’UE de Bruxelles, la Serbie a suivi le chemin inverse. Belgrade, qui flirte depuis longtemps avec Moscou et Pékin, n’applique aucune des sanctions européennes contre la Russie. «Tout le mécontentement et les tentatives de déstabiliser le pouvoir de Vucic sont liés avant tout à sa volonté ferme de ne pas rejoindre les sanctions antirusses», a assuré l’ambassadeur russe à Belgrade, Alexandre Botsan-Khartchenko, après avoir été reçu ce lundi par Aleksandar Vucic. Dans une «conversation confidentielle», le président serbe lui aurait assuré que «l’opposition a commencé les protestations encouragées et soutenues depuis l’extérieur».
Un peu plus tôt, le Kremlin avait aussi commenté la manifestation de dimanche soir. «Il est évident que l’Occident collectif cherche à déstabiliser la situation dans le pays», a déclaré la porte-parole de la diplomatie russe Maria Zakharova, citée par l’agence publique RIA Novosti. Elle va même jusqu’à comparer les dernières manifestations en Serbie à celles de Maidan à Kyiv en 2014, qui ont abouti à l’arrivée au pouvoir de pro-Occidentaux en Ukraine. La comparaison est aussi faite par de nombreux comptes proeuropéens sur les réseaux sociaux, preuve de la résonance particulière de ce début de crise politique dans le contexte du conflit ukrainien.
Mis à jour lundi 15 décembre à 14 h 45, avec le blocage d’une rue du centre de Belgrade.
Mis à jour à 16 h 20, avec les propos de l’ambassadeur russe à Belgrade.