Lors du précédent cycle électoral en 2019-2020, la Slovaquie avait envoyé un signal d’espoir à toute l’Europe centrale. Là où la Pologne et la Hongrie étaient aux prises avec des gouvernements nationalistes et conservateurs, adeptes des dérives «illibérales», et la Tchéquie toujours gouvernée par le milliardaire populiste Andrej Babis, le pays de 5,4 millions d’habitants avait élu coup sur coup une présidente libérale, Zuzana Caputova, qui a fait ses armes comme militante environnementale, puis un parti anticorruption pour diriger la coalition gouvernementale.
Le signal était d’autant plus fort que le scrutin de 2020 avait chassé du pouvoir le Smer, parti officiellement social-démocrate mais surtout accusé d’avoir construit un Etat mafieux et de n’avoir rien fait pour empêcher l’assassinat en 2018 du journaliste d’investigation Jan Kuciak et de sa compagne. Aujourd’hui, le Smer est en passe de reprendre le pouvoir lors des élections du 30 septembre. Son leader de toujours, Robert Fico, pourrait retrouver le bureau du Premier ministre, où il a déjà passé dix ans, entre 2006 et 2010, puis de 2012 à 2018. Son parti pointe en tête dans les sondages depuis des mois, avec 20 % d’intentions de votes, devant la formation libérale Slovaquie progressiste (PS), créditée de 17 %.
Trois Premiers ministres en trois ans
«Le retour du Smer au gouvernement est aujourd’hui l’une des options qui paraissent les plus probables, note Jana Vargovcikova, maîtresse de conférences à l’Inalco. Même le très bon score dans les sondages du PS dessine en creux l’immense déception qu’a suscité le gouvernement sortant. La seule formation à encore recueillir le vote urbain et libéral est ce petit parti extraparlementaire. Ceux qui ont participé à la coalition gouvernementale sont décrédibilisés.»
Depuis les précédentes élections générales en mars 2020, la Slovaquie a connu trois Premiers ministres et cinq gouvernements. La coalition, construite sur une alliance de quatre partis assez disparates, s’est régulièrement déchirée. Ces quatre formations flirtent aujourd’hui dangereusement avec le seuil des 5 % de voix, nécessaire pour entrer au Parlement. Si elles échouent à le franchir, les votes qu’elles recevront seront perdus, ce qui renforcera mécaniquement les autres partis.
Les derniers événements de la campagne sont également de nature à avantager le Smer. Tous les regards de la Slovaquie sont braqués sur le sud du pays, traversé par de plus en plus de migrants qui arrivent depuis la Hongrie. La police estime qu’environ 25 000 personnes ont franchi la frontière illégalement cette année (et quitté ensuite le pays dans les 48 heures, pour la plupart). Ce chiffre s’élevait en moyenne à 2 500 avant 2021. Robert Fico n’a pas raté l’occasion de se rendre dans la région pour blâmer les faiblesses du gouvernement. «Même Dieu ne sait pas qui [parmi les migrants] est un terroriste ou qui est porteur d’une maladie infectieuse», a-t-il lâché début septembre lors d’une visite à Veky Krtis, non loin de la frontière hongroise.
«Il ment ouvertement»
En 2016 déjà, il avait fait campagne sur le rejet de toute immigration. A l’époque, ce jeu dangereux avec la xénophobie lui était revenu à la figure façon boomerang. L’extrême droite, portée par les fascistes de L’SNS, avait largement progressé. Aujourd’hui, Fico n’exclut plus de s’allier avec le parti Republika (7 % des voix selon les sondages), qui a pris la succession de ces défenseurs de la suprématie blanche.
«La différence par rapport à 2016 est que le Robert Fico de 2023 n’a plus d’inhibitions et ment ouvertement, en parlant sans sourciller d’ONG ‘‘financées par [le philanthrope américain George] Soros’’ qui essayeraient ‘‘d’importer sur le territoire européen autant de migrants que possible’’», écrit la journaliste Michaela Terenzani dans un édito pour The Slovak Spectator.
L’ancien Premier ministre est plus agressif et complotiste que jamais. Fico laisse notamment entendre depuis des mois que les élections seront manipulées et son parti a mis en place un système de décompte alternatif des voix. «Il emploie toutes les tactiques possibles de mobilisation de son électorat. Le Fico d’aujourd’hui a beaucoup plus à perdre que celui d’il y a six ans. Retrouver le pouvoir revêt pour lui des enjeux personnels, cette élection ne concerne pas uniquement la politique mais son avenir», explique Jana Vargovcikova. Depuis que le Smer a perdu le pouvoir en 2020, de grandes opérations mains propres ont eu lieu dans la police et au sein des agences anticorruption pour démanteler le réseau mafieux mis en place par le parti. Au moins 42 personnes liées au Smer ont été condamnées, la plupart pour corruption.
«Clivage Est-Ouest»
Robert Fico n’a pas encore eu à déposer devant un tribunal mais il est, lui aussi, dans l’œil de la justice. Depuis 2022, des poursuites sont engagées contre lui, et contre Robert Kalinak, son ancien ministre de l’Intérieur, pour la formation d’un groupe criminel organisé. Le retour du Smer au pouvoir marquerait probablement la fin de ce processus judiciaire.
Au-delà des menaces sur la démocratie slovaque, ces élections pourraient également peser sur les équilibres géopolitiques en Europe. Fico a attaqué à tout va l’Union européenne, accusée de «détruire l’opposition», c’est-à-dire son parti, et l’Otan, dont Bratislava est pourtant membre, en comparant les troupes déployées en Slovaquie aux soldats nazis. Sa cible favorite, la présidente libérale Zuzana Caputova, a reçu l’étiquette «d’agent des Etats-Unis». «Le clivage Est-Ouest a été réinstallé dans la politique slovaque et le Smer regarde clairement vers l’Est. Fico a remis au goût du jour des discours sur la fraternité slave, qui ne sont pas nouveaux mais qui étaient passés à l’arrière-plan», analyse Jana Vargovcikova.
Aide militaire en sursis
L’ancien Premier ministre a promis, s’il revient au pouvoir, que sa première action sera de couper l’aide militaire à l’Ukraine. Le signal serait de très mauvais augure. La Slovaquie a beaucoup aidé l’Ukraine, surtout si l’on rapporte son soutien à son PIB ou à la taille de son armée. Bratislava a fourni des munitions d’artillerie au calibre soviétique et a envoyé ses vieux avions de chasse aux pilotes ukrainiens. En mettant un terme à son soutien militaire, la Slovaquie rejoindrait la Hongrie, le seul pays de l’UE à refuser toute aide militaire à Kyiv.
La politique prônée par Fico ressemble, de fait, beaucoup à celle qu’applique Viktor Orbán, qui pourrait trouver dans le Slovaque un allié au Conseil européen, s’il est élu. «Si on écoute Fico, on entend un leader d’extrême droite, adepte des discours de haine. Mais serait-il vraiment prêt à se mettre à dos l’UE, l’Otan et les Etats-Unis ? J’en doute, d’autant qu’au cours de ses mandats précédents, il a toujours veillé à tenir un discours à Bratislava et un autre à Bruxelles», nuance Jana Vargovcikova. Des mois d’attaque contre l’Ukraine ont toutefois déjà porté leurs fruits. Selon une enquête d’opinion conduite par Globsec, un centre de recherche basé à Bratislava, seuls 40 % des Slovaques tiennent la Russie pour responsable de la guerre en Ukraine (contre 85 % en Pologne), alors que 51 % estiment que la faute repose sur l’Ukraine ou sur l’Occident.