C’était il y a un mois tout juste. Le 1er mars, le Premier ministre slovaque accueillait personnellement sur le tarmac de l’aéroport de Kosice un avion-cargo russe chargé de 200 000 doses du vaccin Spoutnik V. Planté devant la soute ouverte sur les caisses de sérum, Igor Matovic expliquait : «Il est juste d’acheter le vaccin russe car le Covid ne connaît pas la géopolitique.» Ses alliés politiques ne l’ont pas vu du même œil et l’opération a fini par lui coûter son poste. Après un mois de crise gouvernementale, trois des quatre partis qui composent la coalition au pouvoir en Slovaquie ont obtenu hier soir la démission du Premier ministre populiste, Igor Matovic.
«A la veille de la semaine sainte, que nous célébrons comme un symbole de souffrance, de sacrifice et de pardon, j’ai décidé de faire un geste de pardon envers les personnes qui réclamaient ma démission», a-t-il lancé, tout en emphase comme à son habitude, en ce dimanche des Rameaux. Avant qu’il ne négocie personnellement l’achat de Spoutnik V, sa coalition (qui rassemble des partis allant du centre droit à l’extrême droite) s’était clairement opposée au recours au vaccin russe avant qu’il ne soit homologué par l’Union européenne. Igor Matovic est passé outre, sans avertir ses partenaires, et a soigneusement scénarisé l’arrivée de la commande.
«Jouer les héros»
«C’était une tentative maladroite de gagner des points auprès de l’opinion publique en jouant les héros bien plus qu’une prise de position géopolitique», estime Jana Vargovcikova, maîtresse de conférences à l’Inalco. En novembre, Igor Matovic s’était déjà illustré en mettant sur pied une autre mesure anti-Covid spectaculaire, fondée cette fois sur une campagne de test colossale, en un seul week-end, à laquelle était invité à participer l’ensemble de la population du pays. L’opération n’avait pas non plus été exempte de critiques, sans atteindre le niveau de controverse autour de l’achat du Spoutnik V.
Quand le journal Hospodárske Noviny a révélé que Bratislava avait commandé via le mécanisme d’achats européen seulement 71 % des doses auxquelles elle avait le droit, la polémique a enflé. Selon le quotidien, la Slovaquie aurait pu obtenir 3 millions de doses supplémentaires de Pfizer-BioNTech.
En l’espace de dix jours, six ministres ont démissionné pour pousser Matovic à faire de même. Parmi eux, Ivan Korcok, le ministre des Affaires étrangères, fermement pro-européen et pro-atlantiste. «Ce vaccin nous divise ici, il nous divise à l’étranger et il remet en question le processus européen», expliquait-il, dès l’arrivée des doses russes. La semaine dernière, la présidente slovaque, Zuzana Caputová, avait aussi réclamé la démission de Matovic.
Echange de postes
Elu l’an dernier sur un mot d’ordre anticorruption, celui-ci a fini par céder en proposant un échange de postes, rapidement approuvé par la coalition. Le ministre des Finances, Eduard Heger, devrait devenir Premier ministre, et Matovic hériter de sa place. A 44 ans, Heger est un visage peu connu de la scène politique slovaque. Il a été élu député pour la première fois en 2016, sur la liste d’Olano, le parti attrape-tout de Matovic, après une carrière d’entrepreneur qui l’a porté jusque vers la vente de vodka de luxe aux Etats-Unis. «C’est un membre important du mouvement chrétien charismatique, qui fait partie de l’aile la plus conservatrice d’Olano, explique Jana Vargovcikova. On peut s’attendre à ce qu’il tente d’orienter la politique du gouvernement dans cette direction.»
Quant à la cargaison de Spoutnik V, elle n’a jusqu’ici produit que des remous politiques. Les 200 000 doses arrivées le 1er sont restées au frais : l’Agence nationale des médicaments n’a pas donné son feu vert pour leur utilisation, en raison d’un manque de documentation. Il n’est plus question non plus du 1,8 million de fioles supplémentaires censées être livrées par la Russie d’ici juin. La campagne de vaccination suit son rythme sans elles : 11,8 % de la population a reçu au moins une dose, soit un peu plus que la moyenne européenne de 10,8 %.