Les premières rumeurs viennent d’une chaîne Telegram, intitulée «Atesh», qui se présente comme un groupe de combattants ukrainiens et tatars de Crimée. Mercredi 21 juin, «Atesh» assure que les troupes adverses combattent un tout nouveau mal : le choléra. «Des unités entières de la direction de Kherson situées le long du canal de Crimée du Nord [ont perdu] leur capacité de combat et sont emmenées à l’arrière pour être soignées. Plusieurs soldats russes sont morts», écrivent les membres du groupe. Selon eux, les hôpitaux militaires russes des régions de Kherson et de Crimée annexée sont occupés par les victimes de la maladie bactérienne diarrhéique qui, sans traitement, peut être mortelle. Des informations difficiles à vérifier, puisque tout accès humanitaire et communicationnel est bloqué, mais qui restent plausibles. «Le risque de maladies hydriques est toujours important en cas d’inondation», alerte Helena Ranchal, directrice des opérations internationales pour Médecins du monde. Et parmi ces menaces figure le choléra, causé par la bactérie vibrio cholerae.
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Lorsque au matin du mardi 6 juin, le barrage de Kakhovka a explosé, les 18 milliards de tonnes d’eau contenues dans la réserve se sont déversées en aval du Dniepr, le plus grand fleuve d’Ukraine. Les berges ont été inondées, les villages isolés, les habitations ruinées. L’eau s’est infiltrée partout, dans les canalisations et dans les puits, un environnement propice au développement de maladies hydriques, dont le choléra. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) mettait ainsi en garde le mardi 13 juin sur le risque «significatif» de voir apparaître des maladies «telles que le choléra et la typhoïde, et des maladies transmises par les rongeurs, telles que la leptospirose et la tularémie». L’OMS assure «renforcer» sa surveillance dans la région. Avec la rupture du barrage, l’eau a aussi emporté de nombreuses substances chimiques, dont 150 tonnes d’huile de moteur, le long du Dniepr.
Eau contaminée
«Il existe différents types de maladies, par exemple la leptospirose est principalement causée par les rongeurs. Dans leur défécation ou leur urine, ils vont déverser des bactéries. En consommant cette eau contaminée, les habitants peuvent être malades», explique Helena Ranchal. Un simple contact avec l’eau – cuisiner avec ou s’y baigner – peut être suffisant pour transmettre les bactéries. Ce qui a poussé les autorités ukrainiennes à interdire toute baignade, toute marche autour des zones inondées et défendre l’utilisation de l’eau pour consommation. Or, depuis la destruction du barrage, l’accès à l’eau potable est difficile. Egalement présent sur place, Médecins sans frontières (MSF) organise un roulement de camions-citernes d’eau potable à proximité de Kherson. «Les habitants sont assez conscients des risques, ils sont déjà nombreux à boire de l’eau en bouteille», juge Cyril Cappai, chef de mission de MSF en Ukraine.
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Pour l’heure, aucun cas de choléra n’a été détecté en Ukraine, d’après les informations dont dispose Médecins du monde. «A Kherson, nous avons deux cas d’infection intestinale aiguë, et un cas suspect de leptospirose.» Le mardi 13 juin, Oleg Pavlenko, le responsable d’un département de l’Inspection nationale de l’environnement ukrainien avait rapporté la détection de choléra et de bactérie E. coli (Escherichia coli) dans les eaux. «Ce sont des marqueurs inactifs», tempère de son côté Cyril Cappai. En revanche, l’eau risque de ne pas être consommable pendant quelque temps. «Les autorités sanitaires ukrainiennes ont prévenu que la pollution fécale restait importante», détaille la directrice des opérations internationales de Médecins du monde, ajoutant qu’il faudra attendre l’écoulement des eaux pour la voir diminuer.
Santé mentale
Malgré tout, l’Ukraine a les moyens de faire face à de telles maladies. «Les hôpitaux sur place, que ce soit à Kherson ou Mykolaïv, sont bien conscients du danger. On s’assure d’avoir assez de kits de tests et de médicaments, on vérifie qu’il y a des lits disponibles et des équipes», énumère Helena Ranchal. D’après elle, «à Kherson comme à Mykolaïv», les centres de soins ont plus de 200 lits vacants chacun. Et si la maladie est détectée à temps, elle se soigne très bien, «essentiellement par de la réhydratation». Médecins du monde comme MSF font le même constat : les populations sont assez sensibilisées aux risques sanitaires. «Ils ont le réflexe d’aller dans les hôpitaux, voir des soignants et faire des tests», assure la directrice des opérations internationales.
Les maladies hydriques sont loin d’être les seules préoccupations des humanitaires sur place. Mines remontées par les flots, absence d’information côté russe, et surtout santé mentale. Les civils vivent depuis près d’un an et demi dans la guerre, sous les frappes aériennes régulières, face à la présence des troupes adverses juste de l’autre côté des berges. «Ils sont inondés, on leur apprend qu’il peut y avoir des maladies mortelles, on ajoute une urgence à l’urgence», déplore Helena Ranchal. «La santé mentale est très sous-estimée dans les conséquences qu’elle peut avoir sur le long terme, il est essentiel de normaliser les soins psychologiques.»