Une valise, un sac à dos, un gros chat qui boude dans sa caisse de transport, un arbre à chat – c’est l’ensemble des bagages emportés par Evgueni pour traverser le pays, dans le train de nuit qui relie Lviv à Odessa. L’arbre à chat est encombrant, c’est sûr, mais tout neuf, acheté justement la veille, quand Evgueni avait encore «l’espoir qu’il pourrait s’installer à Lviv, avant qu’un propriétaire sans scrupule ne me vire de l’appartement pour le louer plus cher à d’autres réfugiés». La peau grêlée, les cheveux frisés, Evgueni, la trentaine, entrepreneur, aurait préféré quitter l’Ukraine, mais ce n’est plus possible pour les hommes de moins de 60 ans, mobilisables.
Dans le «coupé», compartiment de quatre couchettes confortables, incubateur d’amitiés éphémères, plus de treize heures de trajet pour couvrir 800 kilomètres, rideaux tirés pour ne pas attirer l’attention, il n’y a plus de draps, mais encore des matelas et des oreillers, du thé et du café servis par le chef de bord. Dans ce sens, vers l’Est, vers le front, le billet coûte 600 hryvnias (environ 18 euros). Dans l’autre sens, vers l’Ouest, vers la paix, pas de billet. Les trains d’évacuation mis en place par la Ukrzaliznytsia, les chemins de fer ukrainiens, sont gratuits. Il suffit d’attendre sur le quai, le chef de bord marque d’un trait de crayon sur un petit carnet chaque passager qui escalade péniblement les hauts marchepieds des voitures vétustes. Bondés dans les premières semaines après l’invasion russe, le