A Ceuta, le brouillard porte un nom : le taró. Chaque été, ce voile épais venu du détroit de Gibraltar recouvre l’enclave espagnole et annonce des journées étouffantes. Derrière cette brume familière, se joue un drame humain : des centaines de jeunes venus du Maroc voisin profitent de l’opacité et du calme de la mer afin de tenter la traversée à la nage vers les côtes espagnoles, au péril de leur vie. Dans la nuit du 15 août, plus de 300 personnes, en majorité des jeunes hommes, ont essayé de rejoindre Ceuta depuis la ville de Fnideq, la localité marocaine voisine. La police espagnole et les autorités marocaines sont parvenues à en arrêter la majorité, mais trois ont réussi à passer.
Trois à huit kilomètres de nage
Ces tentatives, de plus en plus fréquentes, mettent à rude épreuve les capacités d’accueil de la petite enclave de 18,5 kilomètres carrés, peuplée de 85 000 habitants. Depuis le renforcement des contrôles terrestres et l’installation de clôtures ultrasécurisées, nager jusqu’à Ceuta est devenu l’option la plus utilisée par les jeunes Marocains en quête d’une vie meilleure en Europe. Les distances à parcourir varient de trois à huit kilomètres, selon l’un des trois itinéraires les plus fréquemment empruntés. Ces traversées restent néanmoins extrêmement périlleuses en raison des courants, de la fatigue et de la température de l’eau. Mercredi 20 août, un corps, vêtu d’une combinaison de plongée et de palmes bleues, a été retrouvé sur une plage près de la frontière, portant à 21 le nombre de décès depuis le début de l’année.
Depuis le 1er janvier, plus de 1 700 personnes ont réussi à accéder à Ceuta par voie terrestre - à la nage ou en franchissant la clôture - soit 7,2 % de plus qu’en 2024, selon le ministère de l’Intérieur. Rien qu’au cours des quinze derniers jours, 269 individus ont réussi à atteindre le territoire espagnol, confirmant une augmentation des passages pendant la période estivale.
Les structures d’accueil de la ville sont aujourd’hui au bord de l’asphyxie. Le Centre de séjour temporaire pour migrants héberge actuellement près de 600 personnes pour une capacité officielle de 512 places. Ces conditions de surpopulation nourrissent les critiques des organisations de défense des droits humains, qui dénoncent des prises en charge indignes et des violations potentielles des droits des mineurs. Sur le plan politique, le gouvernement de Ceuta, dirigé par le Parti populaire (droite), réclame depuis plusieurs mois un soutien accru de Madrid, jugeant impossible de gérer seul une telle situation. Les élus locaux mettent en avant un manque de moyens financiers et humains, tout en appelant à une répartition plus équitable des mineurs sur le territoire espagnol. En juin, le président de Ceuta, Juan Vivas, avait alerté sur une «situation intenable» et demandé au ministère de l’Intérieur de débloquer en urgence des fonds supplémentaires.
Baisse des arrivées clandestines en Europe
Alors que l’Espagne connaît une baisse générale de 29,3 % des arrivées irrégulières entre 2024 et 2025, certains territoires restent en hausse, notamment Ceuta, Melilla (autre enclave espagnole sur la côte marocaine) et les îles Baléares. La route «Atlantique», reliant l’ouest de l’Afrique à l’archipel espagnol des Canaries, voit quant à elle ses arrivées chuter : les autorités espagnoles ont recensé environ 11 300 arrivées par voie maritime, contre près de 19 000 à la même période en 2024, soit une baisse de plus de 40 %.
Sur le reste de la Méditerranée, la dynamique migratoire est contrastée. L’ensemble de l’Union européenne (UE) observe globalement une diminution des arrivées clandestines : selon l’agence européenne Frontex, 95 200 entrées irrégulières ont été enregistrées au cours des sept premiers mois de l’année, soit 18 % de moins qu’en 2024. Cette baisse significative s’explique en grande partie par le renforcement des contrôles en mer, mais aussi par le processus d’«externalisation des frontières» adopté par l’UE, qui lui permet de déléguer la surveillance et l’interception des exilés à des pays tiers comme la Turquie, la Tunisie ou la Libye, souvent au prix de violations récurrentes des droits humains dénoncées par les ONG.
Les traversées depuis la Turquie vers les îles grecques ont ainsi reculé de 25 % depuis le début de l’année. La route Méditerranée dite «centrale», reliant la Libye et la Tunisie à l’Italie, reste quant à elle la plus dangereuse : plus de 700 décès ont été signalés depuis le début de l’année, faisant de cette voie l’une des plus meurtrières au monde. Le 13 août, au moins 26 personnes ont encore perdu la vie au large de l’île italienne de Lampedusa après le naufrage de leur embarcation partie de Libye. Parmi les victimes : trois adolescents et un bébé.