Mercredi soir vers 19 heures, un homme entre dans l’église de San Isidro, à Algésiras – 122 000 habitants, la ville natale du guitariste Paco de Lucía, un des points de départ des ferrys vers Tanger et où réside une dense communauté marocaine. Le suspect est armé d’une longue machette, il décroche et détruit des images religieuses, fait tomber des crucifix et crie : «Mort aux chrétiens !», «Allah est grand, Allah est grand, vous allez mourir !» Il s’en prend au curé du lieu, Antonio Rodriguez, désormais à l’hôpital dans un état stable. Il accourt ensuite dans une église voisine à 500 mètres, la Nuestra Señora de la Palma, où il cherche le prêtre. Ce dernier n’étant pas là, il s’en prend au sacristain, Diego Valencia, 65 ans, marié, père de famille et assidu aux processions de la semaine sainte locale. L’homme d’Eglise s’enfuit à l’extérieur, poursuivi par l’attaquant. Grièvement blessé à la tête, Diego Valencia meurt de ses blessures sur la grand-place Santa Ana. Trois fidèles ont été blessés.
Les policiers municipaux ne tardent pas à interpeller Yasine K., Marocain de 25 ans, migrant sans papiers, caché dans une troisième église. Et à identifier son domicile, un petit appartement partagé avec deux compatriotes dans la rue voisine de Ruiz-Ragle. Sans antécédents judiciaires, il n’était pas suivi par la police. Ce jeudi, le dossier a été transféré à la police nationale et à l’Audiencia Nacional, la juridiction en charge des affaires de terrorisme qui tente de savoir s’il s’agit d’un «loup solitaire» ou d’un membre d’une cellule jihadiste.
«Un pays fier de la liberté religieuse»
Institutions religieuses et responsables politiques se sont empressés de condamner cette attaque à la machette, prenant la mesure de la portée symbolique que revêt cette agression dans des lieux saints catholiques et à l’encontre de prêtres et de fidèles. Plus que jamais, a réagi la présidente de la région de Madrid Isabel Díaz Ayuso, «les pouvoirs publics doivent veiller à la sécurité et à la liberté religieuse». La vice-présidente du gouvernement de gauche, Yolanda Díaz, a souligné que «l’Espagne est un pays diversifié et fier de la liberté religieuse». Du côté religieux, les messages ont été fermes. L’épiscopat a demandé aux Espagnols de ne pas «démoniser» la communauté islamique après cet attentat isolé commis par un seul homme. La communauté islamique d’Espagne, la plus représentative du pays, a rappelé que l’islam est une «religion de paix» et exprimé son espoir que cette attaque «cruelle et mesquine […] ne perturbe pas la paix sociale».
Dans le concert de condamnations, le parti de droite ultra Vox – troisième mouvement au Parlement – s’est distingué en pointant du doigt une supposée progression de l’islamisme en Espagne : «Nous ne pouvons tolérer que l’islamisation avance sur notre sol […] , incompatible avec l’Occident», a clamé le leader Santiago Abascal. Et d’accuser insidieusement la gauche au pouvoir de favoriser l’immigration clandestine et de financer des associations islamiques : «Certains ouvrent les portes, d’autres les financent, et le peuple espagnol en pâtit.»
Dimension religieuse
Les policiers excluent que Yassine K., expulsable du territoire espagnol depuis juin 2022, ait eu l’intention de se suicider, puisqu’il était habillé d’une djellaba noire. Selon eux, les terroristes qui comptent se sacrifier ont l’habitude de se vêtir de blanc. La dimension religieuse de l’agression a été prise en compte, l’homme ayant été interpellé avec un misbaha, le chapelet musulman.
L’attaque d’Algésiras a, en tout cas, pris le pays par surprise. Certes, les arrestations de personnes soupçonnées d’être jihadistes se succèdent ces dernières années, notamment dans les enclaves espagnoles au Maghreb de Ceuta et Melilla. Mais, depuis les attentats de mars 2004 perpétrés par une cellule constituée en majorité de résidents marocains et qui avaient tué 191 personnes à Madrid, l’Espagne n’est pas le pays européen le plus touché par le terrorisme islamique. Cette attaque ravive de terribles souvenirs. Comme la tuerie de Barcelone survenue en août 2017 lorsqu’une fourgonnette zigzaguant sur les Ramblas avait fait 15 morts, avant que la police ne tue 5 membres d’une cellule résidant à Cambrills (dans la Catalogne intérieure), sous les ordres d’un imam radicalisé, qui avait l’intention de perpétrer d’autres attentats autour de la Sagrada Familia et du stade de football Camp Nou.