De la Pologne au Portugal, de l’Italie à l’Irlande, qu’ils soient rompus aux arcanes de Strasbourg et Bruxelles, ou complètement novices en politique : à l’approche des élections européennes, «Libé» tire le portrait d’un candidat par Etat membre de l’Union, en dehors de la France. Vingt-six pays, vingt-six personnalités, pour présenter les enjeux domestiques et les vents contraires qui soufflent sur le continent.
Faire entendre la voix des jeunes dans une société qui vieillit à vitesse grand V. C’est le défi que s’est lancé Nina Skočak, l’une des influenceuses les plus populaires de Croatie, 3,8 millions d’habitants. A 26 ans, cette tiktokeuse aux costumes colorés, suivie par plus de 200 000 personnes, en avait assez d’entendre les éternels reproches faits à la jeunesse. «Notre liste Génération Z est née d’une frustration face à une situation absurde, explique la pétillante Zagréboise. Les responsables politiques se plaignent constamment que les jeunes ne s’engagent pas en politique, mais ils ne s’intéressent jamais à nos problèmes et ils n’intègrent pas de jeunes sur leurs listes. Après, ils regrettent que la jeunesse émigre.» Une fuite des cerveaux massive : le pays de l’Adriatique a perdu près de 10 % de sa population en dix ans.
Un programme résolument «progressiste»
Jusqu’à ce printemps 2024, Nina Skočak était surtout connue pour ses vidéos sur les réseaux sociaux décrivant son quotidien d’étudiante à Bruxelles, ses voyages et son amour de la mode durable. Mais face à la suffisance de ses aînés et à la dure réalité statistique, la double diplômée, en journalisme et en relations européennes, a décidé de porter les doléances de la génération Z dans l’arène politique. «A peine 1 % des députés du Parlement européen ont moins de 30 ans, se désole-t-elle. Pour ces élections, le HDZ [le parti conservateur qui domine la vie politique croate depuis des décennies, ndlr], ne présente même plus de candidat de moins de 30 ans… Avec les 11 candidats de notre liste, nous sommes les porte-voix des changements voulus par les jeunes.»
Vote dès 16 ans, quotas de jeunes sur les listes électorales, numérisation, transition verte, défense des droits humains… Sans financement et sans structure véritable, la liste Gen Z brandit un programme résolument «progressiste» et proeuropéen. Avec le problème du logement en tête, alors que les loyers à Zagreb ont atteint «75 % des revenus, inabordables pour les jeunes». Nina Skočak fait évidemment campagne sur les réseaux avec ses courtes vidéos émaillées de sourires et de tenues élégantes.
Bousculer le système clientéliste
Ambitieuse, l’influenceuse ne se fixe pas d’objectifs inatteignables, comme l’un des douze sièges dédiés aux eurodéputés croates. Les 8 500 signatures récoltées pour déposer la liste sont «déjà un miracle», qui bouscule quelque peu le système clientéliste de la politique croate. «Deux personnes qui voulaient être candidates sur notre liste ont été menacées de licenciement par leur employeur. Cette animosité politique explique pourquoi beaucoup de jeunes ont souvent une meilleure opinion des criminels que des politiques…»
Alors que les Croates sont appelés trois fois aux urnes en 2024, la liste Gen Z aimerait être un grain de sable contre l’extrême droitisation en cours. Le Mouvement de la patrie, une formation ouvertement xénophobe, vient de rentrer au gouvernement avec le HDZ, déjà très à droite. «Ils sont une vraie menace pour les droits des femmes et des migrants, ils veulent nous ramener dans le passé, s’inquiète Nina Skočak, fille d’un père croate et d’une mère bosniaque. J’ai grandi entre deux religions et je n’ai jamais compris les gens qui discriminent et divisent. Avec l’extrême droite, il n’y a tout simplement pas d’avenir.»