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Européennes 2024 : Gavriíl Sakellarídis, un dissident pour relancer la gauche grecque

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L’ancien porte-parole du gouvernement de Syriza, longtemps en retrait de la politique, a fait son come-back au printemps. Malgré la montée de l’extrême droite et les divisions de la gauche, il espère entrer au Parlement européen.
Gavriíl Sakellarídis, à Athènes, le 25 mai. (Maxime Gyselinck)
par Fabien Perrier, Correspondant à Athènes
publié le 4 juin 2024 à 7h24

De la Pologne au Portugal, de l’Italie à l’Irlande, qu’ils soient rompus aux arcanes de Strasbourg et Bruxelles, ou complètement novices en politique : à un mois des élections européennes, Libé tire le portrait d’un candidat par Etat membre de l’Union, en dehors de la France. Vingt-six pays, vingt-six personnalités, pour présenter les enjeux domestiques et les vents contraires qui soufflent sur le continent.

A Athènes, sous le soleil d’un samedi de printemps, Gavriíl Sakellarídis s’avance vers un pupitre posé en pleine rue piétonne. Malgré le bruit, la tête d’affiche de Néa Aristerá (Nouvelle Gauche, NA) aux élections européennes s’exprime d’un ton posé et convaincant. L’économiste maîtrise toujours l’art oratoire qui avait fait de lui un interlocuteur apprécié des journalistes lorsqu’il était porte-parole du gouvernement d’Aléxis Tsípras en 2015. Au bout de dix mois, en désaccord avec la ligne gouvernementale, il s’était toutefois retiré de la politique. Printemps 2024 : il fait son come-back, mais cette fois dans un nouveau parti, NA, issu d’une scission de Syriza.

Son parcours incarne celui de nombreux quadragénaires de gauche déçus par la politique grecque. L’engagement de Gavriíl Sakellarídis, né en 1980 à Athènes, remonte aux mouvements sociaux d’il y a plus de vingt ans : contre la réforme des universités en 1998 ou contre les bombardements de l’Otan au Kosovo et en Serbie en 1999… C’est alors qu’il s’inscrit à la jeunesse de Synaspismos, petit parti eurocommuniste, «père» de Syriza. Il poursuit des études supérieures en finances et fait de la recherche à Athènes, New York et Londres sur le secteur bancaire.

«La gauche a perdu beaucoup de sa crédibilité»

Quand la Grèce plonge dans la crise en 2010, il fait partie des proches de Tsípras. En 2014, à 33 ans, Gavriil Sakellaridis échoue de peu à conquérir la mairie d’Athènes mais la campagne le révèle au grand public. Cette année-là, la gauche grecque incarne l’espoir et l’exemple à suivre des progressistes européens, au point que Tsipras est choisi comme Spitzenkandidat (tête de liste) par le Parti de la gauche européenne pour concourir à la présidence de la Commission. En janvier 2015, Syriza remporte les élections législatives et Sakellarídis devient député et porte-parole du gouvernement.

La rupture a lieu quelques mois plus tard, en novembre 2015. Gavriil Sakellaridis quitte ses fonctions, le parti, et s’éloigne de la politique traditionnelle. Pendant près de dix ans, il dit avoir été «actif autrement». «J’ai choisi un engagement social et dirigé Amnesty International Grèce puis le groupe de réflexion Eteron, explique-t-il à Libération. Je votais Syriza mais je ne voyais que la déconfiture de la gauche. Il fallait sauver ce qui pouvait encore l’être. J’hésitais. La naissance de Nouvelle Gauche, fin 2023, m’a motivé pour me réengager.» A ses yeux, «la gauche a perdu beaucoup de sa crédibilité avec l’expérience de Syriza au pouvoir. Plus que la signature du mémorandum [sur la dette], c’est l’absence d’explication sur la politique menée et la distance avec la population qui ont conduit à l’échec». Bref, il réclame un droit d’inventaire sur Syriza et une reconnexion de la gauche avec le travail sur le terrain.

«Face à la montée de l’extrême droite, il faut apporter des réponses sociales»

C’est ce programme qu’il déroule en pleine rue d’Athènes, sans rien surjouer, contrairement au successeur de Tsípras, Stéfanos Kasselákis, accusé de trop en faire. Sakellarídis fait de l’écologie un point central du combat : «La transition verte aura des effets sur toute notre vie. Elle doit être socialement juste, sinon elle ne se fera pas. Cela veut dire en finir avec l’austérité.» Le voici qui déroule les thèmes de sa campagne, des questions sociales et de santé publique en passant par la Défense. Pour conclure sobrement alors que les conservateurs de Nouvelle Démocratie, qui devraient faire un bon score le 9 juin, pourraient être débordés par une frange encore plus droitière qui voit sa popularité grimper : «Face à la montée de l’extrême droite, il faut apporter des réponses sociales.»

Tête de file d’un nouveau parti sans fonds, il traverse le pays avec ses propres moyens pour exposer son argumentaire. Sur Instagram, on le voit distribuant les tracts, serrant les mains dans les rues ou au volant de sa voiture, sans chauffeur. Marié à une journaliste grecque connue et père d’une fille de 8 ans, il y croit : NA pourrait franchir la barre des 3 % nécessaires pour entrer au Parlement européen. Ce qui serait un beau succès au sein d’une gauche grecque divisée, et d’une gauche européenne mal en point.