En popularisant le télétravail et les réunions en ligne, la pandémie avait déjà rebattu les cartes de l’emploi dans un grand nombre de secteurs. Dans le centre de Londres, le ballet des employés de bureau n’a jamais repris son rythme d’avant, beaucoup préférant le format hybride aux longues journées en open space. Certains bâtiments autrefois bouillonnants sont désormais à moitié vides. Cette petite révolution pourrait bientôt aller plus loin.
En juin, près de 3 000 Britanniques signaient pour essayer la semaine de quatre jours, dans le cadre de la plus large étude réalisée sur ce format de travail. Six mois plus tard, ils présentent leurs résultats. Après une période de préparation, les entreprises impliquées ont dû proposer une réduction «conséquente» du temps de travail, selon un modèle qui leur convenait : vendredi ou autre jour chômé, réduction annuelle du nombre de jours de travail pour atteindre une moyenne de 32 heures par semaine, ou autres aménagements. La seule condition : ne pas toucher aux salaires.
Meilleure santé physique et mentale
Le concept se résume en une formule : 100-80-100. Les employés reçoivent 100% de leur salaire pour 80% de leur temps de travail, le tout en assurant 100% de leurs tâches. Les conclusions de ce test, présentées devant les députés, sont positives : sur les 61 entreprises, 56 vont poursuivre l’expérience et 18 ont affirmé que le changement serait définitif.
Les progrès les plus notables sont à noter du côté du moral des travailleurs : 39% d’entre eux seraient «moins stressés», le taux de burn-out s’est réduit de 71%, leur santé mentale et physique s’est améliorée… Les participants disent passer leur jour de congé supplémentaire à «faire de l’administratif» : des courses, des rendez-vous médicaux ou des corvées ménagères, pour se dégager du temps de loisir pendant le week-end.
Billet
L’enquête a été réalisée par des chercheurs de Cambridge, d’Oxford et de Boston. «On ne parle toutefois pas de dizaines de milliers de travailleurs et d’entreprises, et il n’y a pas encore d’études à très grande échelle à ce sujet. Ce sont des idées nouvelles, les employeurs sont hésitants», rappelle Heejung Chung, professeure de sociologie à l’université du Kent. L’organisation à l’origine du projet, 4 Day Week Global, a essayé de choisir des entreprises variées dans de multiples secteurs : une boutique de fish and chips, une microbrasserie, des associations, des groupes de télécommunications et d’ingénierie… L’une d’entre elles a près de 1 000 employés, la majorité en compte moins de 25.
Productivité en hausse
Le cœur du problème, la question qui préoccupe les employeurs, c’est la productivité. Au Royaume-Uni, elle est inférieure à celles de la France, de l’Allemagne, et des Etats-Unis. Or, à en croire cette nouvelle étude, la productivité s’améliore lors des semaines de quatre jours, et le chiffre d’affaires des entreprises ne change pas. «Dans certains secteurs, comme l’hôtellerie-restauration ou le soin, il n’est cependant pas possible de passer à la semaine de quatre jours sans employer de nouvelles personnes», souligne Heejung Chung.
Pour l’universitaire, il serait «naïf» de croire que cet essai va changer les choses : «Cela nous permet néanmoins de contrebalancer la culture du présentéisme. N’oublions pas qu’à Londres, près d’une personne sur cinq travaille 40 heures à 50 heures par semaine. L’idée que de longues heures de travail sont synonymes de productivité est encore très ancrée.» En 2019, les Britanniques effectuaient les semaines les plus longues d’Europe, avec 42,5 heures en moyenne.
CheckNews
Le Japon, l’Islande, l’Irlande ou les Etats-Unis réfléchissent aussi à la question. En Angleterre, le sujet avait déjà été mis sur le tapis en 2019, par le chef des travaillistes, Jeremy Corbyn, qui en avait fait une promesse de campagne. En 2020, une motion soutenue par plusieurs partis était présentée au Parlement, et l’Ecosse a depuis débloqué 10 millions de livres (11,4 millions d’euros) pour encourager les entreprises à se lancer. En novembre, on comptait déjà une centaine d’employeurs ayant adopté ce nouveau rythme de travail au Royaume-Uni. Enfin, à l’automne, un nouveau projet de loi a été déposé par un député travailliste. De quoi relancer le débat, au moins pour la gauche, avant les prochaines élections.