A priori, le changement d’équipementier d’une équipe nationale de foot est un sujet anecdotique. Mais en Allemagne, le passage de la Mannschaft d’Adidas vers Nike vire à l’affaire d’Etat. Annoncée jeudi 21 mars, cette évolution n’interviendra qu’en 2027 mais elle suscite déjà nombre de commentaires, jusqu’au sommet de l’Etat. Car en quittant la marque aux trois bandes pour celle à la virgule, la sélection allemande abandonne après 70 ans de partenariat l’équipementier né à Herzogenaurach, en Franconie, au cœur du pays, pour céder aux sirènes - et au plus gros chèque - d’une marque américaine.
«Je ne peux à peine m’imaginer le maillot allemand sans les trois bandes», a regretté le ministre de l’Economie, Robert Habeck, selon une déclaration diffusée ce vendredi par son ministère. «Adidas et le noir-rouge-jaune [les couleurs du drapeau national] ont toujours pour moi été indissociables», comme «une part de l’identité allemande», insiste l’élu écologiste, par ailleurs vice-chancelier. Qui résume sa pensée : «J’aurais apprécié un peu plus de patriotisme local».
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Son homologue de la Santé, le social-démocrate Karl Lauterbach, a également fait part de son désarroi avec plus d’emphase encore. «Adidas ne devrait plus être le maillot de l’équipe nationale de football ? Une entreprise américaine à la place ? Je pense qu’il s’agit d’une mauvaise décision, où le commerce détruit une tradition et une partie de la patrie…» Rien de moins.
Adidas soll nicht mehr Nationaltrikot im Fußball sein? Statt dessen ein US Unternehmen? Halte ich für eine Fehlentscheidung, wo Kommerz eine Tradition und ein Stück Heimat vernichtet… pic.twitter.com/14N4xWCQJa
— Prof. Karl Lauterbach (@Karl_Lauterbach) March 21, 2024
Pour Markus Söder, le Premier ministre du Land de Bavière - terre d’origine d’Adidas, il n’y a pas à barguigner : «La sélection nationale joue avec trois bandes - c’était aussi clair que le ballon est rond et qu’un match dure 90 minutes». Et de rappeler que «l’histoire à succès [entre Adidas et la sélection allemande, ndlr] a commencé en 1954 avec la victoire inoubliable de la Coupe du monde, qui a redonné confiance à notre pays. C’est pourquoi il est néfaste, dommage et aussi incompréhensible que cette histoire se termine maintenant», écrit-il sur X.
#DFB und #Adidas: Der deutsche #Fußball war immer auch ein Stück deutsche Wirtschaftsgeschichte. Die #Nationalelf spielt in drei Streifen - das war so klar, wie dass der Ball rund ist und ein Spiel 90 Minuten dauert. Die Erfolgsgeschichte begann 1954 mit dem unvergessenen… pic.twitter.com/L51TPrpQSj
— Markus Söder (@Markus_Soeder) March 22, 2024
Une relation née sous le sceau du «Miracle de Berne»
La relation entre la Mannschaft et Adidas est en effet indissociable du «Wunder von Bern», le Miracle de Berne, victoire providentielle de l’équipe allemande lors du mondial suisse de 1954, un événement qui, dans la mythologie nationale, venait définitivement tourner la page des tourments de l’après-guerre. Il est communément admis que si les Allemands supposés moins forts avaient pu triompher des Hongrois de Ferenc Puskas (3-2), ils le devaient à un homme : Adi Dassler, le patron d’Adidas, créateur d’une arme secrète : la chaussure à crampons vissés. L’avantage : leur taille peut changer en fonction de l’état du terrain, donc de la météo. Courts sur terrain sec, longs sur pelouse boueuse. Celle de Berne tenait du marécage. Une légende était née, désormais rattrapée par la réalité économique.
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Pour justifier ce nouveau contrat, signé pour la période 2027-2034, la fédération de foot allemande (DFB) assure que Nike avait présenté «de loin la meilleure offre économique». Pour situer : la contribution actuelle d’Adidas est évaluée à quelque 50 millions d’euros par an, Nike aurait proposé le double. Le président du conseil d’administration de la fédé allemande, Holger Blask, avait ajouté jeudi avoir été «impressionné» par la vision de Nike, «qui comprend aussi un engagement clair en faveur de la promotion des sports amateurs et populaires ainsi que du développement durable du football féminin en Allemagne».
Pas de quoi convaincre les supporters de la Mannschaft, qui inondent depuis les réseaux sociaux de leurs lamentations. A l’unisson, les médias allemands multiplient les analyses. Le Süddeutsche Zeitung relève «l’affront commercial» que constitue l’annonce de «ce changement de fournisseur si longtemps à l’avance, et seulement une semaine après le lancement [par Adidas, ndlr] de la collection des maillots pour le prochain Euro».
Mais dans le Spiegel, l’éditorialiste Wolfgang Höbel prend un peu de recul. Après avoir rappelé que «les Allemands ont déjà joué sous pavillon étranger : en 1970, le fabricant britannique Umbro leur a fourni des maillots», il assène une vérité évidente : qu’il s’agisse d’Adidas ou de Nike, «les maillots ne proviennent finalement ni d’Allemagne ni des États-Unis, mais du Vietnam, d’Indonésie et de Chine». De quoi relativiser le patriotisme appelé de leurs vœux par certains fans ou politiques.