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Barreaux

Françaises menacées de prison : en Turquie, l’épineux cas des prisonniers étrangers

Deux femmes emprisonnées pour trafic de drogue risquent plus de seize ans de réclusion à Istanbul. «Libération» revient sur les précédents emprisonnements d’étrangers emblématiques dans les geôles d’Erdogan.

Vue de la prison de Marmara, connue sous le nom de prison de Silivri, près d'Istanbul, le 28 août. (Ozan Kose/AFP)
Publié le 11/09/2025 à 18h42

Arrêtées début 2025 à l’aéroport d’Istanbul avec des valises remplies de cannabis, deux Françaises risquent d’être condamnées à passer plus de seize ans derrière les barreaux d’une prison turque. Elles devaient comparaître ce jeudi 11 septembre devant un tribunal et assurent avoir été piégées par un «copain de lycée».

Les prisons de Turquie comptent actuellement près de 300 000 détenus, pour une population totale de 83 millions d’habitants, soit le taux d’incarcération le plus élevé en Europe. Parmi ces détenus figurent de nombreux ressortissants étrangers, menacés par des dizaines d’années de prison et des amendes records, bien souvent réduites après force négociations diplomatiques.

Impossible de ne pas avoir en tête le récit de William Hayes arrêté avec plusieurs kilos de résine de cannabis sur lui et emprisonné dans les terribles geôles de la prison de Sağmalcılar, dans la ville de Bayrampaşa, non loin d’Istanbul. Un récit mis en images par Oliver Stone dans son film à succès Midnight Express.

Libération fait le point sur certaines affaires emblématiques de ressortissants étrangers incarcérés en Turquie pour détention de stupéfiants.

Fabien Azoulay, condamné à près de dix-sept ans de prison pour possession de GBL en 2017

S’il est libre depuis novembre 2021, le Franco-Américain Fabien Azoulay a bien failli passer dix-sept ans derrière les barreaux en Turquie. Il a été interpellé à Istanbul en 2017 en possession de GBL, un solvant classé comme stupéfiant et interdit en Turquie. L’homme, en séjour dans le pays pour se faire mettre des implants capillaires, dit ignorer que ce produit y était interdit.

Il est alors placé en détention au centre de pénitentiaire de Giresun à 9OO km d’Istanbul. Il y séjourne pendant quatre ans, dans des conditions particulièrement difficiles. «Un détenu m’a agressé, qui était arrivé deux jours auparavant dans la cellule. Il m’a envoyé une bouilloire d’eau chaude sur le corps, le visage, en criant Allah akbar. Clairement, quelqu’un lui avait dit que j’étais juif ou homo», rapportait Fabien Azoulay au Parisien en novembre 2021.

Lors d’un sommet de l’Otan, le 14 juin 2021, Emmanuel Macron s’entretient avec Recep Tayyip Erdogan et lui demande de faire quelque chose pour le sort de Fabien Azoulay. Le transfert du détenu vers la France est finalement accepté. Sa peine est ramenée à cinq ans de prison pour «association de malfaiteurs en vue de commettre un délit» et «recel de délit», en l’occurrence la vente de GBL. Il est placé en détention le 17 août en France, avant d’être libéré en octobre via un aménagement de peine.

L’Agenaise Sabah Ezzedi, libérée après cinq ans et demi pour trafic de cocaïne

Elle était emprisonnée depuis juin 2007 pour un trafic de stupéfiants qu’elle n’a cessé de nier. Le 23 juin 2007, alors qu’elle attend son vol pour la France à l’aéroport Atatürk d’Istanbul, Sabah Ezzedi est pistée par un chien renifleur. Dans le double fond d’une valise enregistrée à son nom, les douaniers découvrent 684 grammes de cocaïne. La Française assure que la valise lui a été remise par un ami et qu’elle ignore tout de son contenu. Pendant deux ans, elle attend son jugement. Le 9 mars 2009, ses avocats obtiennent que les faits qui lui sont reprochés soient requalifiés en tentative de trafic de stupéfiants et non plus en importation de produits stupéfiants. Sabah Ezzedi n’encourait donc plus une peine de quinze ans, comme requise en décembre 2007, mais de sept ans de réclusion.

Pas de quoi convaincre la cour stambouliote qui ne tient pas compte de cette requalification des poursuites. Cette ancienne serveuse au Buffet de la gare à Agen et mère célibataire de trois enfants est condamnée en mai 2009 à douze ans de réclusion par la justice turque. Un an plus tard, en avril 2010, la Cour de cassation d’Ankara rejette son pourvoi et entérine sa condamnation. Elle passe quatre années derrière les barreaux, avant d’être extradée vers la France, en 2011, pour finir de purger sa peine. «J’ai failli y laisser ma vie, raconte-t-elle au journal Sud Ouest à propos de son incarcération en Turquie. Quand je suis arrivée à la prison de Fresnes, je pesais 30 kilos». Sabah Ezzedi est finalement placée à la prison de Roanne (Loire). Sa libération conditionnelle est acceptée par le tribunal d’application des peines de Roanne en décembre 2012, au terme d’un an et demi de détention en France.

Charman Smith, du Yukon à la prison

La jeune femme originaire des peuples autochtones du sud du Yukon s’est fait piéger. En 2016, un ami lui propose de l’envoyer à sa place assister à une conférence autour de l’emploi en Afrique. Lors de son retour pour le Canada, Charman Smith doit faire escale à Istanbul. Elle est appréhendée par les autorités de l’aéroport Atatürk d’Istanbul, qui découvrent dans ses bagages du khat, une substance psychotrope illégale en Turquie.

Suivant les conseils de son avocat turc, la jeune femme plaide coupable. Smith est condamnée en novembre 2016 à neuf ans et deux mois de prison. Selon le réseau de télévision des peuples autochtones APTN, Charman Smith séjourne jusqu’en 2020 dans une prison de Turquie. Avant de profiter de la pandémie de Covid-19 : Charman Smith et des dizaines de milliers de prisonniers sont renvoyés dans leurs pays pour finir d’y purger leur peine. Elle est assignée à résidence au Canada et retrouve la liberté en mai 2023.

Ali Albokhari, un marin finlandais accusé de trafic de drogue

Le sort du second Ali Albokhari illustre bien la maritimisation du trafic de cocaïne et l’essor du marché international de stupéfiants. A l’été 2023, le vraquier Phoenician M, battant pavillon panaméen, est amarré dans le port turc d’Eregli. Le navire, en provenance du port colombien de Barranquilla, fait l’objet d’un contrôle des autorités turques. Bingo : les douaniers mettent la main sur 137 kg de cocaïne dissimulés parmi la cargaison de charbon du vraquier. Le capitaine croate Marko Bekavac et son second finlandais Ali Albokhari sont arrêtés.

Lors du procès qui se tient en octobre 2023, le capitaine Bekavac déclare avoir signalé des problèmes de sécurité à bord du navire dès son départ de Colombie. Avant le départ du vaisseau, les autorités colombiennes mettent au jour une petite quantité de cocaïne, cachée dans le réservoir du coqueron arrière, un compartiment servant à lester le navire. Le capitaine signale la saisie à l’armateur et prend le large. Selon la fédération internationale des ouvriers du transport (ITF), à son arrivée en Turquie, Bekavac signale l’incident aux autorités. Mais en tant que capitaine du Phoenician M, l’homme est désigné comme responsable, tout comme son second. Les deux marins sont condamnés à trente ans de réclusion par la justice turque.

Selon Neven Melvan, secrétaire général du syndicat croate des marins cité par l’ITF, «cette décision est scandaleuse et témoigne d’un manque total de compréhension et de respect pour ce que font les marins».

Et d’ajouter : «Il semble qu’il s’agisse d’un autre cas où les autorités locales, soucieuses de paraître efficaces dans la lutte contre le trafic de drogue, ciblent les marins accusés de contrebande, malgré un manque total de preuves.»

Le 8 août 2025, les autorités turques libèrent le capitaine croate âgé de 62 ans. Selon sa famille, cette libération est le fruit d’intenses efforts diplomatiques déployés par le gouvernement croate. Mais pour son second Ali Albokhari, l’avenir reste sombre. Cela fait deux ans qu’il est emprisonné en Turquie. Selon sa femme Elena Albokhari, qui dit se rendre chaque mois à Ankara, les autorités finlandaises ne font pas assez pour obtenir la libération de son époux.